Il n'y a pas si longtemps, dans une époque pré-Twitter, ma boîte de courriels se remplissait de commentaires du genre: «Franchement, vous êtes beaucoup trop sévère avec ce téléroman». Ou bien, cette remarque classique: «Vous essaierez d'en animer une ou d'en écrire une, émission de télévision, pour voir si c'est facile que ça.»

Maintenant, le ton des missives s'est durci et la compassion a pris une solide débarque. Les commentaires ressemblent plutôt à: «Je vous ai trouvé vraiment trop gentil avec telle animatrice» ou bien «Vous auriez dû frapper plus fort sur ce comédien, car il est pourri».

Si j'écrivais dans ces pages la moitié du quart de ce que certains lecteurs m'envoient, je croulerais sous les poursuites pour diffamation et atteinte à la réputation. Est-ce la multiplication de toutes les tribunes publiques, et leur accessibilité instantanée comme sur Facebook, qui ont opéré ce glissement et encouragé les gens à se débarrasser de leur filtre? Sans doute.

Ce phénomène de «picossage extrême» a aussi contaminé l'émission Un souper presque parfait de V, un de mes petits plaisirs télévisuels. Comme quoi le critique culturel n'est plus du tout le seul à affûter ses couteaux Wüsthof. Le critique culinaire amateur aussi.

Au départ, les évaluations entre les participants d'Un souper presque parfait demeuraient toujours assez bon enfant. Mais depuis le retour des Fêtes, ouille, les candidats rivalisent de bitcheries et de remarques aussi acides qu'un vinaigre balsamique passé date. À côté de ça, Gordon Ramsay passe pour Sonia Benezra.

La semaine tournée à Québec (celle du 18 avril) m'a quasiment fait jeter mon tablier tellement les cuistots s'assassinaient entre eux. Tout était mauvais, dégueulasse, pas mangeable, trop froid, trop cuit, pas assez relevé, et personne ne l'a jamais préparé, ce souper presque parfait. En fait, personne n'est passé proche de le cuisiner.

Tenez, cette semaine, le candidat du mercredi, Jean-Daniel, a mitonné un tartare de canard au poivre du Sichuan et aux framboises, suivi d'un carré d'agneau en croûte d'épices avec pommes sautées et tomates cerises confites à l'ail. On ne parle pas ici d'une assiette de Hamburger Helper accompagnée d'une tranche de baloney boursouflée et d'un verre de Kik Cola.

Malgré tous ses efforts de cuisson au thermomètre et tout et tout, Jean-Daniel s'est fait ramasser. «Je n'aime pas l'agneau», a bêtement justifié l'émotive Victoria pour le planter. Du calme ici. Aux dernières nouvelles, personne dans le groupe n'opérait un restaurant encensé par le guide Michelin, non?

Aujourd'hui, peu importe l'effort ou la créativité injectés dans les plats, les notes frôlent toujours le six sur dix, soit à peine le seuil de passage. Et le derby de démolition continue: c'est un repas de semaine, ça, mon fils de 6 ans en fait après sa leçon de karaté. Quoi, tu n'as pas fait ta propre pâte filo? Franchement.

La semaine dernière, le candidat François, un brin snob et arrogant, soyons franc, a servi du miel et du beurre d'érable qu'il a lui-même fabriqués. Quand même, ce n'est pas rien. Mais, bof, ouin, ont raillé ses convives, peu impressionnés. Et François n'a récolté que des six et un sept sur dix.

En même temps, ce regard extrêmement critique sur la bouffe s'explique, en partie, par la prolifération des émissions de cuisine sur toutes les chaînes québécoises. Les Daniel Pinard, Josée di Stasio, Ricardo et autres Touilleurs ont élevé notre degré de connaissance collective sur les aliments, les épices et l'art de la table en général. Elle est bien loin l'époque où seules les recettes de Jehane Benoît et de Pol Martin garnissaient nos tables.

Moi, ils m'impressionnent, ces volontaires du Souper presque parfait, quand ils concoctent des duos de foie gras et chutney à l'américaine. Cette téléréalité n'aurait jamais pu exister il y a 10 ans. On aurait alors assisté au festival du pain de viande (et sa macédoine) et du Jell-O vert fluo toutes les semaines.

Chose certaine, avec ma vaisselle dépareillée, ma nappe blanche tachée de vin rouge et ma vieille table de cuisine peu stable, jamais je ne m'inscrirais à cette émission. Mais vous savez quoi? On s'amuse quand même chez moi, dans ma minuscule cuisine digne d'un studio new-yorkais. Et c'est ça le plus important dans l'art de recevoir des amis... même si le livreur du resto indien sonne à la porte avec une heure de retard.

Je lévite

Avec The Voice à NBC. Qui aurait cru qu'une autre téléréalité de type American Idol pouvait renouveler le genre et être franchement intéressante? Christina Aguilera, Cee Lo Green, Adam Levine et Blake Shelton forment des équipes d'aspirants chanteurs et que le combat de boxe commence!

Je l'évite

Le départ de Christiane Charette. Oui, j'allais faire des chroniques télé à son micro une fois par mois. Cette démission, c'est une grande perte pour la radio publique, quoi qu'en pensent ses détracteurs. Une femme cultivée, vive, drôle et passionnée. Elle va nous manquer. Merci Christiane pour ces cinq années de quotidiennes.