Quand l'hiver portait vraiment son nom, j'inventais toujours des scénarios catastrophes en regardant les tempêtes déferler. En balayant les quelques brins de neige tombés hier, je me suis surpris à replonger dans le même manège.

Au lieu de rêver aux fermetures d'écoles, je me suis plutôt mis à élaborer un scénario catastrophe. Le scénario d'un film dans lequel la Ligue nationale et ses joueurs en lock-out s'enlisaient dans le gouffre sans fin de la Justice, avec laquelle, ô danger, ils s'apprêtent à patiner.

Voici le scénario de ce film, dont je vous laisse le soin de trouver un titre. L'Association des joueurs obtient l'accord de ses membres et des tribunaux pour se faire hara-kiri et Donald Fehr saborde le syndicat. Rouge de colère, Gary Bettman annule la saison illico. Armé d'avocats mercenaires, il se rend en cour fédérale et obtient que tous les contrats soient annulés sur-le-champ.

C'est ici que ça commence. Attachez vos tuques avec de la broche, parce que la tempête va vite se lever.

Bettman pris au collet

Le film s'ouvre sur un boucan du diable autour de la table où sont réunis des gouverneurs de la LNH. Craig Liepold et Joel Dobberpuhl, propriétaires du Wild du Minnesota et des Predators de Nashville, tiennent Gary Bettman par le collet. Normal! Il y a deux mois, Leipold a versé 12 millions à Zach Parise et 12 autres millions à Ryan Suter en primes de signature dans le cadre des contrats de 13 ans totalisant 98 millions qu'il leur a offerts l'été dernier.

Pas plus fin, le groupe de propriétaires des Predators a fait un chèque de 13 millions avec une prime identique, puisqu'il a égalé l'offre de 110 millions pour 14 ans des Flyers pour garder son capitaine à Nashville, au lieu de le voir partir pour Philadelphie.

Non seulement ces trois joueurs n'ont pas disputé un seul match en échange de ces 37 millions, mais ils sont maintenant libres comme l'air.

Bettman demande à ses assaillants de le lâcher une seconde. Il réplique qu'en dépit de ce gaspillage, tous les propriétaires pourront se reprendre au cours des prochaines années. Les contrats ne tiennent plus. Et comme le syndicat s'est fait hara-kiri, les clubs pourront discuter directement avec les joueurs - officiellement de petites, moyennes et grosses entreprises qui négocieront une à une avec la LNH.

«C'est pas beau, ça!», claironne Bettman, en soulignant que les propriétaires n'ont maintenant qu'à s'entendre sur des cadres financiers convenant à la bourse de tout un chacun pour se mettre à faire du «gros argent».

Crosby quitte Pittsburgh

«Tu fais quoi de la loi anticollusion, mon Gary?» demande alors Geoff Molson, du Canadien.

Avec son sourire à 3,3 milliards, Bettman lui réplique de ne pas s'en faire. En l'absence de syndicat, il ne peut en effet y avoir de collusion. Les joueurs sont maintenant des entreprises qui font affaire avec les équipes, et non des employés.

Ron Burkle, un petit vite dans la vie comme dans les affaires, n'aime pas ce qu'il entend. Le proprio des Penguins vient de réaliser qu'il pourrait perdre Sidney Crosby à la faveur des Rangers de New York, des Flyers de Philadelphie, voire du Canadien de Montréal.

Vous ne pensez quand même pas qu'une fois libérés du syndicat, les propriétaires vont se faire des cadeaux?

Je veux bien croire que c'est un film, mais il faut quand même que ce soit crédible.

Les joueurs, dans tout ça?

On voit les joueurs, confinés à des arénas de quartier où ils s'entraînent seuls ou en petits groupes, se frapper la tête contre les baies vitrées en réalisant qu'ils n'ont plus la sécurité dont ils profitaient sous l'ancien régime.

Comment se termine ce navet mettant en vedette Gary Bettman, Donald Fehr et des hockeyeurs qui sont bien bons avec la rondelle - du moins, pour certains -, mais bien mauvais dans les rôles de victimes qui les attendent dans ce scénario?

Avec un gars derrière une baie vitrée.

Après une ou deux saisons perdues en raison du temps qu'il a fallu pour redéfinir les paramètres salariaux de la LNH, le hockey a repris. Les partisans sont de retour dans les gradins. Les cotes d'écoute sont bonnes à la télé - surtout à Québec, qui vient de retrouver ses Nordiques.

Mais les joueurs ne sont pas contents. Ils parlent avec nostalgie du bon vieux temps. De l'époque où les contrats qu'ils avaient signés, même les plus fous, étaient honorés par les propriétaires. Peu importe le niveau d'effort qu'ils déployaient sur la glace, leur production offensive ou leur efficacité en défense. Une époque révolue, maintenant que leurs contrats ne sont plus garantis.

Le fantôme de Ted Lindsay

À force de se plaindre et de tenter de convaincre ses coéquipiers de l'importance de former un syndicat - pardon, une association -, ce joueur vient de se faire virer. Il vient d'être échangé à Québec, où il fait froid l'hiver, où les impôts sont démesurés et où sa femme devra magasiner en français.

On ne pourrait pas reconnaître le joueur derrière la baie vitrée. Pas plus que celui qui, de l'autre côté, viendra le saluer. Mais par la magie du cinéma, le réalisateur ferait alors apparaître les jeunes visages de Ted Lindsay et de Gordie Howe.

Ce bond en 1957 permettrait de faire le trait d'union entre les premiers coups de patin de l'Association des joueurs, officiellement née 10 ans plus tard, et la situation périlleuse dans laquelle Donald Fehr l'a placée en la sabordant, 55 ans plus tard.

L'Association des joueurs n'a pas été sabordée. Du moins, pas encore. Ce scénario catastrophe n'est donc qu'une fiction. Mais attention: la réalité pourrait vite rattraper la fiction si Donald Fehr décide de passer des menaces aux actes. Surtout que j'ai l'impression que Gary Bettman aimerait bien que son adversaire passe à l'action.

Comme quoi mon optimisme des derniers mois s'est beaucoup étiolé. Il est même sérieusement ébranlé.