Guy Legault a travaillé avec Jean Drapeau pendant 30 ans. Il se souvient d'un homme charmant, cultivé, ensorceleur, mais aussi d'un homme obstiné, autocrate, calculateur.

Travailler avec lui pouvait être à la fois convivial et difficile. Car Drapeau était exigeant, il était fonceur... mais jusqu'à en perdre la raison, parfois. Jusqu'à pousser des projets dont Guy Legault garde un souvenir bien amer, comme la maison de Radio-Canada et le Village olympique, qui a fait disparaître 875 ormes matures.

Mais ce dont l'ancien directeur de l'urbanisme se souvient avec le plus de vigueur, ce dont il est le plus fier, c'est ce qui rendrait probablement Drapeau le plus fier aujourd'hui : le métro.

« C'est certainement le plus grand legs du maire », lance Guy Legault. Celui dont Montréal ne pourrait plus se passer aujourd'hui. Celui, aussi, qui résume le mieux Jean Drapeau.

En fait, comprendre la genèse du métro, c'est comprendre l'ancien maire, avec ses forces et ses faiblesses.

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Le métro est né dans l'atelier de Guy Legault, un homme qui a notamment dirigé les services d'habitation et d'urbanisme pendant ses années à la Ville (1956 à 1987). C'est lui qui en a dessiné le tracé aux côtés de Drapeau, mais aussi de Lucien Saulnier.

Car à l'origine, le métro était le projet du président du comité exécutif, auquel le maire s'est rallié.

Rien de surprenant. Jean Drapeau n'était pas autant l'homme des grandes idées... que l'homme capable de les concrétiser, de les mener à terme contre vents et marées.

Son tout premier slogan (toujours d'actualité) : « Réalisons ! »

L'Expo 67, par exemple, c'était l'idée du sénateur Mark Robert Drouin. Et la construction d'îles en plein fleuve pour accueillir l'événement, c'était l'idée de Guy Beaudet, président du Port de Montréal.

Drapeau, pendant ses 29 ans au pouvoir, n'a donc pas toujours eu le flash initial, mais quand il était convaincu de sa pertinence, quand un projet devenait « son » projet, gare à ceux qui se mettaient sur son chemin !

Ce maire infatigable qui travaillait de 7 h à minuit, cet adepte du Prince de Machiavel, ce fin stratège finissait toujours par avoir ce qu'il voulait.

Quitte à museler les contre-pouvoirs, à contourner les obstacles politiques ou à prendre simplement le temps nécessaire pour convaincre ses vis-à-vis.

L'idée de tenir l'Exposition universelle dans des îles artificielles, le premier ministre Pearson la trouvait « absurde »... jusqu'à ce que Drapeau passe des heures à lui montrer ses plans, à quatre pattes dans son bureau, refusant de partir sans un oui.

« C'était un plaideur extraordinaire, résume Guy Legault. En fait, il plaidait tant et aussi longtemps qu'il n'avait pas gagné. Il pouvait d'ailleurs vite devenir imperméable aux idées des autres. Un entêtement qui pouvait être à la fois une qualité et un défaut. »

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« Monsieur le maire » était un « doer », donc. Mais c'était aussi un homme cultivé, un intellectuel à ses heures, qui était très influencé par la France et le Vieux Continent, où il n'hésitait d'ailleurs pas à puiser l'expertise pour ses projets.

« Ses sources, elles venaient d'Europe, rappelle Guy Legault. Prenez l'urbanisme. Son modèle, c'était Haussmann : on détruit pour mieux reconstruire. Exactement ce qu'il a fait pour Radio-Canada. Il a déplacé 2500 personnes pour une tour qui occupe le tiers d'un vaste terrain de stationnement ! Une abomination ! Mais il faut dire que cet attrait pour l'Europe l'a aussi incité à aller chercher là-bas une bonne expertise pour le métro, celle de la Régie autonome des transports parisiens. »

C'est aussi ce qu'il avait fait pour le Stade, avec Taillibert, et pour la réforme de la police, quelques années plus tôt.

L'expertise de pointe était donc française pour le métro, mais le projet n'en était pas moins canadien, québécois même. Une exigence de Drapeau, qui s'est tout au long de sa carrière fait le porte-étendard des Canadiens français, de leur culture, de la culture en général, en fait.

C'est ainsi qu'on lui doit la Place des Arts. C'est ainsi, également, qu'il a dit oui quand Guy Legault a lancé l'idée d'avoir un architecte différent pour chaque station de métro et une participation des artistes québécois dans l'aménagement de certains édicules.

« Les stations ne sont peut-être pas toutes aussi belles les unes que les autres, concède-t-il. Mais on en a réussi beaucoup grâce à cette façon de faire que Drapeau a acceptée avec empressement. »

En quatre petites années, de 1962 à 1966, Montréal s'est ainsi doté d'un réseau de métro, « le plus beau du monde », disait le maire. Un métro devenu colonne vertébrale. Un métro qu'on ne pourrait plus se permettre, qu'on ne serait peut-être même plus capable de réaliser.

Un projet immense, bref, réalisé par un maire immense, capable de reconnaître les bonnes idées et de les réaliser, possiblement les deux plus grandes qualités d'un leader.

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La ville qu'on a bâtie, Guy Legault, Éditions Liber, 2002