On pourrait m'accuser d'avoir un parti pris...

J'habite à 200 mètres d'une autoroute pétrolière. Chaque jour, chaque nuit, j'entends grincer des dizaines et des dizaines de wagons qui contiennent des centaines et des centaines de barils de pétrole. Comme une sensibilisation en temps réel, mettons.

Quand on propose de faire passer le pétrole sous terre, j'ai donc tendance à tendre l'oreille.

Je n'étais pas d'emblée opposé à l'inversion du pipeline 9B, par exemple. On parle tout de même d'un oléoduc déjà existant, déjà utilisé, déjà enfoui. J'ai peur de la vétusté de l'équipement moi aussi, mais je me raisonne en me disant que tout compte fait, c'est probablement la moins pire façon de fournir son « fix » à une société accro au pétrole.

C'est avec la même ouverture d'esprit que j'ai abordé le projet Énergie Est, que je me suis penché sur l'oléoduc que TransCanada veut construire de l'Alberta au Nouveau-Brunswick, en passant par le Grand Montréal.

Et bien franchement, le projet tel que proposé n'a aucun bon sens...

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C'était hier soir la dernière séance de consultation organisée par les élus de la région. Une consultation qui a montré le faible appui que récolte le projet Énergie Est jusqu'ici : à peine une poignée des 70 mémoires présentés lors des séances y sont favorables.

Et il n'y a qu'à voir le tracé pour comprendre que cette opposition n'est pas qu'idéologique. Il y a de ça, oui, mais il y a aussi une analyse détaillée du chemin que doit emprunter l'oléoduc.

Imaginez... Le pipeline est censé traverser une bonne cinquantaine de kilomètres de boisés, de rivières et de milieux humides ! On parle de la fameuse ceinture verte que le Grand Montréal a promis de protéger en toute priorité dans son plan d'aménagement (PMAD) adopté en 2011 !

Or selon les estimations de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), il faudrait déboiser un corridor de 35 mètres de largeur, durant les travaux, à travers 50 hectares de couvert forestier à Mirabel, 14 hectares de corridors forestiers à Terrebonne, 5 hectares de milieux humides à Sainte-Anne-des-Plaines, etc.

Et je ne parle même pas des cours d'eau traversés, des espèces en voie de disparition, des terres agricoles, des certifications biologiques menacées.

Ou bien TransCanada a fait son tracé à l'aveugle, ou bien elle n'a rien à faire des objectifs de protection de la région. Et bien franchement, je ne sais pas lequel est le pire...

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À quoi bon parler des autres détails du projet pour l'instant ? Si le tracé ne convient pas, s'il bousille des années d'efforts de protection environnementale, s'il va à l'encontre des priorités que s'est fixées la région, c'est à TransCanada de refaire ses devoirs. Puis de présenter un projet plus acceptable, qui sera ensuite analysé en détail.

Il y a des moments pour négocier, et il y a des moments pour dire non. Le projet d'Enbridge était un moment pour négocier, ce qu'a très bien fait la Communauté métropolitaine de Montréal.

Denis Coderre en tête, la CMM s'est associée à l'Office national de l'énergie. Ensemble, ils ont obligé Enbridge à écouter les maires concernés. Et ils ont élaboré 30 conditions, que l'Office a fini par imposer au promoteur, sine qua non. C'est rassurant.

Est-ce que les plans d'urgence, patrouilles terrestres, vérifications bimensuelles et autres inspections obligatoires seront suffisants ? Pas pour garantir le risque zéro, c'est sûr. Mais au moins, tout ça donne aux villes plus de pouvoir et de contrôle sur le pétrole qui traverse leur territoire qu'à l'heure actuelle. Que ce soit en train ou en bateau.

Saviez-vous, d'ailleurs, que le pétrole albertain fait parfois le tour de l'Amérique du Nord avant d'arriver à Montréal ? C'est TVA qui a dévoilé le curieux trajet qu'il emprunte à l'occasion depuis Fort McMurray : pipeline jusqu'au Texas, pétroliers qui remontent l'Atlantique, puis un croche par le fleuve pour atteindre la raffinerie Suncor...

Il faut donc se résigner, le pétrole trouvera son chemin jusqu'à nous. L'important est qu'il soit connu et fortement encadré par les communautés qu'il traverse, comme dans le cas de l'oléoduc 9B.

Il y a donc des moments pour négocier... et il y a des moments pour dire non, par principe. Parce qu'on ne peut tout accepter au nom des « retombées économiques ». Parce que l'expression « développement durable » comporte deux mots. Et surtout, parce que le tracé du pipeline Énergie Est va à l'encontre de tout ce que prône la région depuis quatre ans.