Clément Demers n'en revenait pas quand il a pris connaissance du projet de réaménagement de la Maison Alcan par Guy Laliberté...

Reconstruire un îlot qui a tout juste 30 ans ? En démolissant deux bâtiments, dont un significatif ? Dans un secteur de grande valeur patrimoniale comme le Golden Square Mile ?

Inconcevable, s'est-il dit ! C'est précisément ce qu'il avait réussi à éviter en 1982, quand il avait travaillé main dans la main avec la société Alcan pour réaménager cet îlot.

Il était alors un jeune architecte employé par la Ville. Responsable des plans d'ensemble, il avait eu le privilège de piloter ce dossier qui a fait date dans la métropole. Car il y a eu un avant et un après Maison Alcan...

Avant, dans les années 70, on permettait tout, incluant la destruction d'une aussi remarquable demeure que la Maison Van Horne, archétype de la maison victorienne, rue Sherbrooke. Alors qu'après, on a réalisé qu'on pouvait finalement réaménager la ville sans démolir. On pouvait intégrer le passé plutôt que l'effacer.

Or c'est à une sorte de retour vers le futur que nous convie le projet de réaménagement de la Maison Alcan. Comme si l'histoire de cette dernière ne nous avait rien appris.

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« Pas compliqué, la Maison Alcan est le premier vrai projet à Montréal à avoir concilié le patrimoine et les besoins contemporains. Alcan aurait pu faire une tour en gardant quelques façades, mais en bon citoyen corporatif, elle a choisi de bien faire les choses. »

En me faisant visiter les lieux, Clément Demers s'extasie encore devant les détails de ce projet « qui a remarquablement bien vieilli ». Il me montre ces maisons victoriennes conservées intégralement. L'ancien hôtel Berkeley transformé en entrée majestueuse. Le grand atrium public qui relie l'ancien et le nouveau.

« On a voulu éviter le façadisme à l'époque, c'est-à-dire la simple préservation de vieilles façades. Or ce qu'on propose aujourd'hui, c'est en partie du façadisme, justement ! »

Soyons clairs, aucune de ces vieilles demeures ne sera altérée dans le projet de Guy Laliberté et de son groupe Lune Rouge (et non le Cirque du Soleil, qui n'est plus dans le portrait et ne veut plus en faire son siège social, ai-je appris). On conserve en effet les contours de la Maison Alcan, pour l'essentiel.

Le gros du projet vise plutôt le coeur de l'îlot. On veut y construire une énorme tour de bureaux de 30 étages, belle sur papier, mais très imposante. Surtout vu de la rue Stanley.

Vous le devinez, il faut faire de la place avant, donc démolir. D'abord la tour de huit étages de l'Armée du salut, rue Drummond, qui assurait le lien entre les différentes composantes de la Maison Alcan. Ensuite l'édifice NCSM Donnacona, cette patinoire centenaire de la rue Stanley devenue bâtiment militaire, dont on garde seulement la façade.

« Si on était dans une ville qui étouffe, où il n'y a plus un pied carré pour construire, j'aurais compris, concède Clément Demers. Mais ce n'est pas le cas. Donc, pourquoi réaménager ce qui était bien aménagé ? »

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Le problème n'est donc pas le projet en soi. Ce n'est même pas la démolition des édifices. Le problème, c'est l'endroit où cela se fait. C'est la démolition de cet ensemble cohérent qui représente un jalon dans l'histoire contemporaine de Montréal.

« Quand Alcan a décidé de faire son siège social, elle a choisi de faire une restauration et une réinsertion remarquables. Quand la Caisse de dépôt a choisi d'installer son bureau d'affaires dans le Quartier international, note Clément Demers, qui en fut le directeur de projet, elle l'a fait de belle manière en optant pour un terrain difficile à utiliser et en intégrant d'anciens bâtiments. »

« Ce qui est regrettable avec la Maison Alcan, c'est que le promoteur n'ait pas voulu faire la même chose en donnant une seconde vie à un site abandonné. Il me semble que c'est ce que doivent faire les grandes institutions visionnaires aux reins solides. »

Ironiquement, à l'époque, la Maison Alcan cherchait à mettre un frein aux démolitions qui avaient cours dans le Mille carré doré. Elle visait à conserver le patrimoine derrière les façades. Elle voulait respecter la morphologie des lieux en limitant l'ensemble à huit étages, pas plus.

Trente ans plus tard, on efface et on recommence. On propose la démolition de l'existant, la conservation d'une façade, et la construction d'une tour de 30 étages.

Pas étonnant que le comité Jacques-Viger exprime son « malaise » devant la transformation de ce « symbole des années de réappropriation ». Le même comité, d'ailleurs, qu'on a refusé d'écouter quand il s'est porté à la défense de la Maison Van Horne il y a 40 ans.

Le maire de Montréal écoutera-t-il les doléances des défenseurs du patrimoine, de Phyllis Lambert, d'Héritage Montréal cette fois ? La ministre de la Culture se portera-t-elle à la défense de cet îlot qui fait partie d'une aire de protection ?

Sommes-nous en 2015, ou de retour dans les années 70 ?