La stratégie d'Uber est simple: débarquer en cowboy dans les grandes villes de la planète, attendre que le shérif se pointe et l'affronter en duel sur la place publique.

Précisément ce qu'elle a fait hier à Montréal en lançant son service UberX sans autorisation, façon de provoquer l'administration municipale... et s'attirer tous les regards.

La méthode manque d'élégance. Ce n'est pas parce qu'on vient de l'Ouest qu'il faut s'inspirer des westerns.

Mais le maire Coderre aurait tort de dégainer simplement parce qu'on le provoque.

Uber n'est pas un hors-la-loi dont il faut se débarrasser, c'est plutôt un étranger qui ne voit pas les choses comme on les a toujours vues. C'est un transgresseur qui met en doute des façons de faire, des lois et des règlements.

C'est un trouble-fête, surtout, qui remet en question une industrie qui use et abuse de son monopole depuis trop longtemps...

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J'arrive de Toronto où j'ai pu tester UberX, qui est en service depuis deux mois. De façon illégale, bien sûr.

Je suis monté avec Kadir, Arnold, Syed, George et Mohammed, des chauffeurs qui avaient tous leur histoire. L'un tuait le temps en attendant la fin de l'heure de pointe pour se rendre chez lui, à Scarborough. L'autre comblait les heures libres de son emploi à temps partiel. Et l'autre vendait des hypothèques aux clients qu'il faisait monter...

Mais tous m'ont offert un service im-pec-ca-ble.

Attention, je n'ai pas été dupe des grandes limites d'UberX.

Alors que l'application me promettait une voiture en sept minutes, j'ai attendu Kamran près de 20 minutes, le temps de croiser une bonne dizaine de taxis. J'ai fini par annuler ma demande.

À Scarborough, en banlieue, j'ai vu beaucoup de VUS, mais pas l'ombre du début d'une voiture prête à répondre à l'appel de mon application Uber.

À l'angle des rues Yonge et Dundas, au coeur de la journée, le temps d'attente était de 10 minutes, sans même que ce soit l'heure de pointe.

Sur Bay Street, j'ai renoncé au service lorsque l'application m'a informé que les tarifs étaient 1,75 fois plus élevés en raison d'une forte demande.

Le service comme tel est donc aléatoire, ce qui jouera des tours à UberX. N'empêche, j'ai eu droit à des véhicules en parfait état ainsi qu'à des chauffeurs sociables et souriants. J'ai profité de suspensions qui fonctionnaient, de bouteilles d'eau et de magazines du mois. J'ai tiré profit, autrement dit, d'un service à la clientèle comme je l'attends, efficace et courtois.

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Or, que vous habitiez Toronto ou Montréal, il suffit de raconter votre dernière mésaventure dans un taxi lors d'un souper pour que tout le monde ajoute les siennes, que ce soit l'odeur des voitures, les machines à carte de crédit défectueuses ou l'impolitesse des chauffeurs vissés à leur cellulaire.

Voilà ce qu'Uber remet en question avec son service à la clientèle hors pair et son application d'une redoutable efficacité: un monopole qui a tellement pris ses aises qu'il en a oublié ses propres clients. À quand remonte la dernière innovation dans cette industrie, déjà?

On peut donc bien essayer de chasser Uber, mettre la justice à ses trousses, mais tant que l'industrie ne se remettra pas en question, ça ne fera que repousser l'inévitable. Car si ce n'est pas Uber qui joue les trouble-fête, un autre joueur de l'économie du partage profitera des déficiences de ce marché fermé pour prendre sa place.

Le problème, ce n'est pas UberX, ce sont les lois qui empêchent l'évolution d'une industrie formée à l'époque du radio-dispatch, une industrie qui a profité de son monopole pour nous habituer à un service à la clientèle exécrable.

Ce n'est donc pas à ce monopole à imposer ses vues corporatistes hyper règlementées. Pas plus qu'à Uber, d'ailleurs, qui rêve à une déréglementation.

C'est à la Ville, qui aurait plus intérêt à imposer un encadrement à ce nouveau joueur qu'à se faire imposer ses vues.

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Plutôt que de mettre bêtement une croix sur UberX, la Ville pourrait donc essayer de l'encadrer, quitte à ce qu'elle aille voir ailleurs si une législation révisée ne faisait pas son affaire.

On pourrait ainsi réglementer les tarifs pour éviter les excès qu'on a vus ailleurs. On pourrait exiger des inspections de véhicules, une formation en sécurité, un mécanisme de contrôle de la qualité, des assurances plus élevées (la vérification des antécédents criminels est obligatoire chez Uber, mais pas dans l'industrie du taxi...).

Si UberX trouvait ainsi sa place parmi les services de transport autorisés, il finirait par gruger des parts de marché aux taxis, comme l'ont fait BIXI, Car2Go et Auto-mobile. Mais en même temps, il inciterait plus de citoyens à se départir de leur voiture... gonflant du coup la clientèle de tous ses services collectifs, notamment les taxis.

Le maire Coderre s'est déjà attribué le titre de shérif de Montréal. Pas besoin de nous montrer en plus qu'il tire plus vite que son ombre.