Ce n'est pas en se promenant au centre-ville de Toronto qu'on tire de grandes conclusions sur la politique municipale...

On ne sent aucune fébrilité, comme si l'élection avait lieu l'an prochain plutôt que ce soir. On n'y voit aucune pancarte, comme s'il n'y avait campagne qu'à Mississauga. Et on cherche en vain à travers tous ces nouveaux gratte-ciel des séquelles des années Ford, comme si l'incompétence du maire n'avait eu aucun impact sur le dynamisme de la ville.

Mais justement, si la métropole va si bien malgré son maire, Toronto a-t-il véritablement besoin d'un maire? Certains se posent la question...

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Le mandat de Rob Ford à l'hôtel de ville a été tumultueux. Il a créé des divisions. Il a suscité un immense malaise en devenant une vaste farce mondiale. C'est ce que l'on en retient.

Mais pour les acteurs de la scène municipale à Toronto, la leçon de cette saga, c'est que Toronto est capable de prospérer avec... ou sans maire.

C'est le constat d'Alan Broadbent, par exemple, homme d'affaires très influent de la Ville Reine et auteur d'Urban Nation: Why We Need to Give Power Back to the Cities. «Le maire a été un problème au cours des quatre dernières années, surtout son incapacité à travailler avec les autres élus. Mais malgré l'absence de leadership du maire, Toronto n'a pas du tout été paralysé», se réjouit-il dans ses bureaux de la Fondation Maytree, situés face au magnifique «cristal» du Royal Ontario Museum.

On a continué à ramasser les déchets, emprunter des livres à la bibliothèque, rouler en autobus et entretenir les routes. Même lorsque le maire a perdu l'essentiel de ses pouvoirs, même lorsqu'il était en cure de désintoxication!

Cela a incité Alan Broadbent à publier un fascinant rapport sur le leadership à Toronto. Ou pour être plus précis, sur les différentes manifestations d'un leadership venant d'en bas en l'absence d'une véritable leadership venant d'en haut.

«Un équilibre a été trouvé au conseil municipal sur une panoplie d'enjeux allant des transports en commun au logement en passant par la réforme électorale. C'est d'ailleurs ce qui a incité certains conseillers municipaux à se demander tout haut si Toronto a encore besoin d'un maire...»

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La question, bien franchement, on se la pose en arpentant la rue Adelaide, en roulant sur l'autoroute Gardiner, en visitant le quartier général de John Tory dans Bay Street ou celui d'Olivia Chow dans la rue Yonge.

La ville bouge, elle est prospère, les grues sont partout. On en compte en effet 147, le plus grand nombre... du continent!

«Dans une ville dynamique et résiliente, explique Alan Broadbent, il est toujours possible de compenser les échecs des uns par les succès des autres, et c'est précisément ce qui arrive à Toronto, une ville en plein boom.»

La Ville Reine a certes été frappée de plein fouet par la crise économique de 2008, plus encore que Montréal. Mais elle affiche, depuis, une résilience impressionnante, surtout au centre-ville.

On y retrouve de plus en plus de grues, d'institutions culturelles, d'infrastructures flambant neuves. On y retrouve aussi une population grouillante, de plus en plus nombreuse. Même que la poussée démographique a été plus forte au coeur de Toronto ces dernières années qu'en banlieue pour la première fois depuis les années 70... alors même qu'un champion des banlieues était au pouvoir.

C'est une bonne nouvelle... mais une mauvaise à la fois.

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Si une balade au centre-ville ne permet pas de tirer des leçons sur la politique municipale, il en va tout autrement en périphérie, au coeur de la Ford Nation.

Le contexte y est pas mal moins glorieux. Une simple incursion dans les quartiers d'Etobicoke ou de Scarborough suffit pour observer l'impact d'un développement à deux vitesses qui profite aux uns, moins aux autres.

Plutôt que des grues, ce sont des locaux vides qui pullulent en banlieue, des stationnements à perte de vue et des centres commerciaux déglingués, comme celui qui héberge le bureau de campagne de Doug Ford, avenue Lawrence.

«La colère en banlieue est moins forte qu'il y a quatre ans, c'est vrai, mais l'amertume des citoyens demeure vive, car ils ont l'impression d'être délaissés, comme des électeurs de deuxième zone», explique Hamutal Dotan, rédactrice en chef du webzine Torontoist.

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Et c'est peut-être davantage là que la nécessité d'un maire fort, rassembleur, capable de travailler pour toute l'agglomération se révèle. Un maire dont le travail ne se résume pas à donner les clés de la ville aux investisseurs.

Abandonner la fonction de maire? L'idée, bien que théorique, est jugée ridicule par Hamutal Dotan, qui considère que le premier magistrat a un important travail à faire pour mettre en place une vision de la ville à long terme, pour rassembler le centre et la périphérie, pour que la richesse soit partagée par le plus grand nombre.

«C'est sûr que l'eau continuera de couler même si le maire ne fait pas son travail, mais pendant ce temps-là, on ne planifie pas le futur et on ne travaille pas sur les vrais problèmes de Toronto. On a donc besoin d'un maire pour lancer de nouveaux projets, pour penser à l'avenir et pour que tout le monde profite de la prospérité.»

La Ville Reine aura un nouveau maire ce soir. Une partie de son mandat sera de rappeler la pertinence de sa fonction.

En chiffres

67

Nombre de candidats officiellement enregistrés, les trois plus importants étant Doug Ford, John Tory et Olivia Chow.

18

Nombre de candidats précédemment enregistrés qui ont retiré leur nom avant la date limite du 12 septembre, dont Rob Ford.

Selon un sondage Nanos, les cinq principaux enjeux sont les transports en commun, le niveau de taxation, l'emploi, l'économie locale et la congestion.