Chers lecteurs, il faut que je vous raconte ce qui m'arrive. Une histoire vraiment pas drôle.

Figurez-vous qu'un nouveau voisin vient d'emménager dans la grande maison à côté de chez moi. La propriété est immense et luxueuse, certains diront tape-à-l'oeil, mais elle commence sérieusement à se défraîchir. De larges taches de moisissures sont apparues sur un mur extérieur, et je n'ose pas imaginer l'intérieur !

Le prédécesseur - un chic type - a fait ce qu'il a pu pour l'entretenir. Il faut dire que les pluies diluviennes de 2008 ont attaqué les fondations, puisque la maison est située au bas d'une petite côte, contrairement à la mienne. Le constructeur d'origine, dit-on, aurait bafoué le Code du bâtiment.

Toujours est-il qu'un nouveau voisin vient de débarquer et il n'est pas commode, mais alors là pas du tout. Il parle fort, fait jouer sa musique à tue-tête et raconte des tas de trucs bizarres à ses cinq enfants, qui le croient sur parole (enfin trois d'entre eux les boivent, ses paroles).

Parfois, les comportements de mon voisin frisent l'indécence, à tel point que je fais rentrer mes jeunes enfants pour épargner leurs chastes oreilles. Dernièrement, par exemple, j'ai surpris mon voisin à apostropher des femmes avec des gestes dégradants. Sa propre épouse, dois-je dire, a déjà posé nue pour un magazine érotique, paraît-il. Ceci n'implique pas forcément cela, mais bon, ça vous donne le portrait du bonhomme.

Jusque-là, ce n'est pas vraiment de mes affaires. Au fond, c'est à sa famille d'y voir, me suis-je dit. Ses frères, ses soeurs, ses parents n'ont qu'à le secouer.

Non, ce qui m'emmerde royalement, ce n'est pas ça.

Entre autres, mon voisin pollue toute la rue avec ses trois voitures à gros cylindres et son 4 x 4 géant. C'est sans compter que sa piscine est chauffée avec une génératrice bruyante au charbon et qu'il inonde son gazon de pesticides interdits.

Peu après son arrivée, on le lui a dit, moi et d'autres résidants du quartier : 

- Heille voisin, ta pollution fait flétrir nos fleurs et nos arbres, elle fait mourir les geais bleus. Toutes nos études sont concluantes : il est impératif de réduire progressivement nos produits polluants. Même ton prédécesseur était d'accord.

- C'est de la foutaise, votre affaire. Au coin de la rue, il y a un propriétaire qui a une dent contre moi, un Chinois, et c'est lui qui vous a monté un bateau. Achalez-moi pas avec ça.

Ce n'est pas tout. Depuis longtemps, on a pris habitude de s'entraider entre voisins. Enfin, je ne sais pas pour vous, mais moi, quand il me manque des oeufs ou de la farine pour mon gâteau, je cogne à la porte d'en face et mes voisins se font une joie de m'en fournir et vice versa. Même chose pour les outils ou des bouts de bois, comme des 2 x 4.

Avec lui, pas question. Enfin, il nous a bien fait comprendre que si on voulait ses outils ou ses oeufs, il fallait en rediscuter sérieusement.

Mon cas n'est pas le pire, cela dit. Avec son autre voisin adjacent - une famille de Mexicains - il n'est plus question de transiger quoi que ce soit. Et même, il projette de construire une grande palissade sur la ligne mitoyenne, à leurs frais, et à l'encontre de la réglementation municipale.

Mon voisin prétend que les petits enfants mexicains viennent impunément chercher leurs ballons sur son terrain, brisant les arbustes. Pire : il les accuse d'avoir cassé une fenêtre et de piller son potager.

Bref, c'est le branle-bas de combat dans le quartier. Par-dessus le marché, le nouveau voisin nous a bien avertis qu'il exigerait qu'on cotise davantage au fonds de sécurité de la rue. D'ailleurs, il a embauché deux nouveaux gardiens armés pour surveiller sa propriété, leur ordonnant entre autres d'empêcher les musulmans des autres quartiers d'approcher.

Bien franchement, je suis découragé, bouleversé, chers lecteurs. Mardi dernier, j'ai eu toutes les misères du monde à m'endormir. Et au lever du soleil, j'en ai glissé un mot à ma douce :

- Chérie, il faut qu'on déménage.

- Mais mon pauvre Francis, tu sais que c'est impossible, a-t-elle dit. La maison m'a été léguée par mes grands-parents, avec la condition qu'on ne la vende pas, qu'on ne la cède qu'à nos rejetons.

Chers lecteurs, vous comprenez maintenant mieux notre situation. Même si le voisin est un malotru, même s'il est un menteur, nous n'avons pas le choix : il faut faire avec et tenter de minimiser les dommages. En priant pour que ce soit lui qui déménage, dans quatre ans...