Comment peut-on se tromper à ce point pour un projet en préparation depuis 20 ans ?

Je parle de la cimenterie de Port-Daniel-Gascons, en Gaspésie, dont le chantier a été mis en branle en 2014. Cette semaine, on a appris qu'il coûterait 444 millions de plus que les 1,03 milliard de dollars prévus à l'origine. Le dépassement de coûts est abyssal : 43 % !

Comment est-ce possible, misère ? On croyait pourtant avoir une formule gagnante pour ce projet public-privé : un management compétent et « dédié » et la participation d'une famille d'affaires aguerrie (les Bombardier-Beaudoin).

Mais non, malgré toutes les promesses, le projet connaît des dépassements de coûts majeurs. Et on apprend la nouvelle entre la Saint-Jean et la fête du Canada, dans un journal de Toronto, pendant que les politiciens sont en vacances. Incroyable !

Le gouvernement du Québec s'est engagé pour 350 millions dans ce projet, dont 100 millions en capital-actions. De mémoire, il s'agit d'un des plus gros dépassements de coûts de l'histoire du Québec, en valeur absolue. Seule la construction du métro de Laval s'est davantage écartée de son budget, de 458 millions.

Un dépassement de coût historique

MÉTRO DE LAVAL : 458 MILLIONS

CIMENTERIE MCINNIS : 444 MILLIONS

TRAINS DE L'EST : 444 MILLIONS

IMMEUBLE, CAISSE DE DÉPÔT : 291 MILLIONS

GASPÉSIA : 253 MILLIONS (1)

Source : La Presse

Que s'est-il passé ? Le VP de la Caisse de dépôt, Christian Dubé, nous en donne un aperçu. La Caisse est actionnaire à environ 22 % du projet, tandis que le Québec participe maintenant à hauteur de 16 %.

D'abord, les coûts de construction ont été mal estimés d'environ 75 millions. Ces coûts avaient été validés par des firmes d'ingénieurs embauchées notamment par la Caisse de dépôt, mais elles se sont trompées. La Caisse ne veut pas nous dévoiler le nom de la principale firme de génie qui a fait les vérifications ni dire si elle a l'intention de lui réclamer des dommages pour ses erreurs.

Autre élément : en cours de projet, les promoteurs ont constaté, entre autres, que les quais en eaux profondes pour transborder le ciment n'avaient pas suffisamment d'envergure et de résistance. Il a donc fallu ajouter 100 millions.

Autre mauvais calcul : l'horaire de construction. Christian Dubé nous explique que le projet devait être construit sur trois étés, essentiellement. Or, le projet a été mis en branle seulement à l'automne 2014. Ce retard a obligé Ciment McInnis à accélérer les travaux et à payer des heures supplémentaires, entre autres, question d'être prêt pour la saison de livraison du ciment au printemps 2017. Cet élément a fait grimper la facture de 150 millions.

Curieusement, lors de l'annonce officielle de janvier 2014, le projet devait débuter au printemps 2014 et se terminer à la mi-2016, sans surcoûts.

Le reste du dépassement est attribuable aux frais juridiques qui ont découlé de la poursuite du concurrent Lafarge (10-15 millions) et à des éléments que la Caisse n'a pas détaillés (104 millions).

PAS DE VP CONSTRUCTION

La Caisse a pris connaissance de certains problèmes financiers en août 2015, et a embauché la firme GPH pour assurer un suivi. Entre août 2015 et mai 2016, la situation s'est considérablement dégradée, si bien que la Caisse a exigé de renforcer l'équipe de gestion.

Personne n'a été congédié pour les bévues, mais McInnis a dû embaucher un vice-président construction, entre autres, un poste qui n'existait pas malgré l'envergure du projet.

Les dépassements de coûts n'ont pas été sans conséquence. La Caisse a déjà dû avancer 40 millions de plus que son investissement initial de 100 millions. Et le gouvernement du Québec, qui a limité son injection de capital aux 100 millions du départ, a vu sa participation diluée à 16 %, contre 22 % au départ.

« Il y avait des signes avant-coureurs, mais la situation était gérable », nous explique la ministre de l'Économie, Dominique Anglade, qui a appris l'ampleur du dépassement seulement à la fin mai 2016.

Depuis mai, Québec demande des comptes hebdomadaires avant de décaisser progressivement les 150 millions qui restent au prêt de 250 millions. Le gouvernement n'ajoutera pas d'argent, « mais des investisseurs nouveaux et la Caisse de dépôt sont intéressés à participer », dit-elle.

DES FOURNISSEURS SE PLAIGNENT

Difficile de comprendre que ni la Caisse ni le gouvernement n'aient été en mesure de voir plus tôt que la bulle des coûts gonflait. Qu'ils n'aient pas vu les problèmes de gestion du projet et le manque d'expertise, même s'ils siégeaient au conseil d'administration de McInnis.

Pourtant, dès mars 2015, des fournisseurs enregistraient des hypothèques légales sur l'usine de ciment, protestant contre des retards de paiement. Depuis, quatre autres hypothèques légales ont été enregistrées, la dernière datant de janvier 2016.

Quatre des cinq fournisseurs contestataires ont été payés, finalement, mais il y a deux semaines, le dernier a entrepris des procédures de vente sous contrôle de justice pour récupérer son dû.

La Caisse se dit tout de même confiante dans la rentabilité du projet, destiné au marché américain. Et elle poursuit les négociations pour du nouveau financement.

Il reste que ce dépassement de coûts majeur laisse un goût amer. Et me porte à être perplexe sur le projet de trains électriques de 5,5 milliards de la Caisse de dépôt, même si l'institution promet de respecter le budget puisqu'elle sera cette fois l'exploitant direct et non un simple actionnaire.

1-Pour Gaspésia, il s'agit des pertes du gouvernement du Québec, le projet n'ayant pas été complété. Le dépassement avoisinait les 200 millions avant que le projet ne soit abandonné.