Chaque année, les Québécois versent près de 1 milliard de dollars de cotisations syndicales. Or, jamais, ou presque, ces sommes ne font l'objet d'un débat public. Aujourd'hui et demain, Francis Vailles fait le point sur les finances des syndicats, qui recèlent plusieurs surprises.

Chaque année, à La Presse, un reporter au sommet de l'échelle salariale verse près de 2000 $ de cotisations syndicales.

C'est beaucoup d'argent. Presque autant que les paiements à l'assurance maladie (2350 $) ou à la Régie des rentes du Québec (RRQ) (2630 $). Et bien davantage que les cotisations à l'assurance-emploi (1153 $)1.

Je ne me plains pas des conditions à La Presse, pas du tout. Et je ne conteste pas notre adhésion syndicale. Notre syndicat s'est avéré pertinent, pragmatique et efficace, davantage que je ne l'aurais cru à mon entrée à La Presse, il y a 14 ans.

Non, je parle des cotisations syndicales parce qu'elles représentent beaucoup d'argent pour les 39 % de travailleurs syndiqués au Québec. Chaque année, ces travailleurs versent près de 1 milliard de dollars de cotisations syndicales2. Or, ces importantes sommes ne font jamais, ou presque jamais l'objet d'un débat public.

Les médias et chercheurs passent au crible les finances du provincial, du fédéral, des commissions scolaires, des universités, des municipalités, des entreprises en Bourse, des sociétés d'État. Ils discutent aussi des autres postes qui touchent le portefeuille des citoyens, comme la gestion de la RRQ et de l'assurance-emploi. En pratique, seules les finances des syndicats restent dans l'ombre.

Ce qui m'amène à poser la question : faut-il rendre publics les états financiers des syndicats ?

L'an dernier, le Parti conservateur a adopté une loi obligeant les syndicats à rendre publics leurs états financiers et les salaires des dirigeants qui gagnent plus de 100 000 $, entre autres. La loi devait entrer en vigueur le 1er janvier, mais son application a été suspendue par les libéraux. Actuellement, une loi du gouvernement Trudeau est devant le Sénat pour renverser définitivement cette initiative des conservateurs.

Les syndicats appuient évidemment la démarche des libéraux. Ils estiment que la loi conservatrice contenait des exigences trop pointues, notamment de produire un relevé de dépenses de plus de 5000 $.

Selon eux, la loi avait pour effet d'entraîner des frais administratifs inutilement lourds et les mettait en position de faiblesse, puisque les employeurs auraient pu connaître leurs fonds de grève.

Qui plus est, les syndicats sont des organisations privées, disent certains dirigeants syndicaux, et leurs finances ne regardent pas le public. Quant aux membres, ils peuvent obtenir les états financiers de leur syndicat lors des assemblées.

Les syndicats ont raison sur une chose : la loi était trop tatillonne, trop exigeante. Mais ils ne me convaincront pas sur le reste : le public doit savoir comment ils gèrent les cotisations des membres, qui sont déductibles d'impôt.

En pratique, bien sûr, les syndiqués peuvent avoir accès aux états financiers lors des assemblées, mais on ne se racontera pas d'histoires : la vaste majorité ne se présente pas à ces assemblées et ne sait pas décoder les chiffres. Un peu comme les entreprises en Bourse : les actionnaires boudent systématiquement les assemblées annuelles et ce sont les médias, les analystes et les chercheurs universitaires qui les informent adéquatement.

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et même en France, les syndicats sont tenus de dévoiler publiquement leurs renseignements financiers.

Au Québec, cette divulgation publique est d'autant plus justifiée que les employés n'ont pas le choix : ils sont obligés de payer des cotisations syndicales si leur division de l'entreprise est syndiquée (formule Rand). Cette obligation fait en sorte qu'ils financent des campagnes politiques syndicales pour lesquelles ils n'ont à peu près rien à dire.

Par exemple, depuis deux ans, à la CSN, plus de 4 millions de dollars ont été consacrés à diverses campagnes contre « l'austérité », la privatisation de la SAQ, les compressions à Radio-Canada, la réforme de l'assurance-emploi et le gouvernement Harper, entre autres. Ces campagnes peuvent être légitimes, mais leurs impacts financiers méritent d'être mieux connus des membres et du public.

Tous les syndiqués de la CSN sont-ils d'accord pour défendre une SAQ publique ? Un gouvernement du Québec en déficit ? La grève étudiante ?

Pour en avoir le coeur net, j'ai demandé aux plus gros syndicats s'ils accepteraient, de bonne grâce, de me transmettre leurs états financiers complets. J'ai fait de même auprès du Conseil du patronat du Québec (CPQ). Or, comble de bonheur, nos demandes ont toutes été acceptées !

Côté transparence, la palme revient à la CSN. Ses états financiers sont publiés sur l'internet, la centrale m'a aussi remis tous les documents intérimaires et son trésorier a été rendu disponible pour répondre longuement à mes questions.

Le SCFP publie aussi ses états financiers complets sur l'internet. Pour les autres (CSQ, FTQ, CSD, FIQ, CPQ), il a fallu quelques discussions, mais en insistant, j'ai finalement obtenu les états financiers de tous3. De plus, on a répondu à toutes mes questions pointues sur le sujet, ce qui témoigne de leur bonne foi.

Devant ce constat, ne serait-il pas souhaitable que les documents de tous soient aisément disponibles sur l'internet ? Question de rendre une loi pointilleuse vraiment inutile ? Et de permettre aux syndiqués d'avoir des analyses externes des finances de leur organisation ?

Demain, justement, je passe en revue les finances de ces organismes. Attachez votre tuque, il y a beaucoup de surprises !

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1. Les versements à l'assurance parentale sont compris dans cette somme.

2. Les meilleures estimations réalisées à partir de données des Statistiques fiscales des particuliers du ministère des Finances du Québec et du document Travail et rémunération de l'ISQ donnent 940 millions de dollars.

3. Sigles pour Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Centrale des syndicats démocratiques (CSD), Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et Conseil du patronat du Québec (CPQ).