Il y a 15 ans, la violence au hockey était tolérée. Non seulement était-elle tolérée, mais encore elle était encouragée. Pour se rendre en finale de la Coupe Stanley, il fallait avoir son Chris Nilan, son Bob Probert, son Georges Laraque.

Aujourd'hui, une telle pratique est sérieusement remise en question. Les effets des commotions cérébrales, entre autres, et la perte de joueurs-vedettes victimes de violence indue, comme Sidney Crosby, ont forcé les dirigeants de la LNH à changer leur approche.

Cette analogie m'amène à vous parler de Pierre Karl Péladeau et des paradis fiscaux. L'utilisation de planifications fiscales internationales, faut-il savoir, a non seulement été tolérée pendant des années, mais encore encouragée par les gouvernements, jusqu'à un certain point.

Pourquoi ? Par mesure défensive. Pour comprendre, il faut savoir que la grande part des pertes fiscales subies par le Canada à cause des « structures exotiques » sont le fait des multinationales étrangères qui investissent ici, et non des entreprises canadiennes.

Et inversement : par leurs stratégies, nos entreprises font surtout perdre des revenus fiscaux aux pays d'accueil. Ainsi, quand Bombardier fait transiter par le Luxembourg un investissement aux États-Unis, il ne pénalise pas tant le Canada que les États-Unis.

En 2009, l'économiste réputé Jack Mintz chiffrait bien cette situation loufoque. Grâce aux stratégies fiscales, les entreprises étrangères qui investissent au Canada payent moins d'impôts au Canada que les entreprises canadiennes ! Leur taux pouvait, par exemple, être de 11,4 %, contre 24,4 % pour les entreprises canadiennes.

D'où l'acceptation tacite du gouvernement canadien : vous encouragez vos joueurs à se battre quand ils viennent au Canada ? Nous permettons la même chose quand ils vont chez vous.

Pour bien des entreprises, les stratégies fiscales sont devenues courantes, presque obligées. Imaginez ce qui arriverait si le Canadien imposait à ses joueurs de ne pas plaquer l'adversaire pour éviter de blesser leurs joueurs, mais qu'à l'inverse, l'autre équipe pouvait s'en donner à coeur joie ?

Ainsi, qu'une multinationale comme Quebecor World, auparavant contrôlée par Québecor, ait eu recours au Luxembourg, à la Suisse ou à l'Islande pour réduire légalement sa facture fiscale n'est pas une surprise pour moi, mais une évidence.

Vous voulez d'autres noms ? L'entreprise internationale de Charles Sirois lorsqu'il était le roi des télécoms. Le Cirque du Soleil, de Guy Laliberté. Alcan, devenue RioTinto. Le fabricant de t-shirts Gildan. Le fabricant de jouets Dorel. Le constructeur d'autobus de Beauce Prévost Car, filiale d'une entreprise suédoise.

Il ne s'agit pas d'évasion ou de fraude fiscale, mais de planification fiscale légale des entreprises pour minimiser leurs impôts, comme toute autre opération pour réduire les coûts et être plus compétitif.

Certaines planifications sont jugées plus légitimes, d'autres moins.

Il est donc surprenant que Pierre Karl Péladeau ait d'abord nié - puis en partie reconnu à l'animateur Paul Arcand - ce que semble être une évidence dans le cas de Quebecor World.

Selon mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot, PKP était l'un des plus hauts dirigeants ou administrateurs de Quebecor World au moment de la création des 10 entités en Suisse, au Luxembourg et en Islande, soit entre 1998 et 2004.

Dimanche, Radio-Canada en rajoutait, disant avoir trouvé une trentaine d'entreprises liées à Québecor inc. qui sont installées dans des pays strictement utilisés pour réduire la facture fiscale. Et pas des moindres : Panama, îles Vierges britanniques, Barbade, etc.

Dans ce cas, PKP a nié complètement à Paul Arcand, soutenant que ces entreprises étaient déjà en place quand il a acquis Vidéotron. Il aurait même spécifiquement donné une directive à ses cadres pour interdire les structures « exotiques ». L'entreprise Québecor a également nié.

Cela dit, faut-il continuer de permettre aux entreprises d'utiliser impunément les paradis fiscaux pour minimiser leurs impôts ? Faut-il perpétuer la tradition quand on constate les nuisances qu'elle provoque dans le système économique mondial ? Quand on constate l'impact sur les Sidney Crosby, Patrice Bergeron et autres Daniel Brière ?

Bien sûr que non. En octobre dernier, justement, les pays développés (OCDE) ont signé une entente afin de contrer ce qu'on appelle « l'érosion de la base d'imposition et le transfert de profits » (mieux connue sous l'acronyme anglais BEPS).

Au menu : déclaration fiscale obligatoire pays par pays, règles pour mettre un terme à l'utilisation de sociétés relais pour transférer des investissements, normes sévères concernant les prix de transfert entre filiales destinées à effacer les impôts d'un pays à gros taux d'imposition, etc.

L'implantation de telles mesures dans un domaine extrêmement complexe comme la fiscalité demande beaucoup de temps. Et exige une coordination entre les pays, afin que toutes les entreprises soient soumises aux mêmes restrictions.

En attendant, la meilleure stratégie de Pierre Karl Péladeau, de François Legault ou de Philippe Couillard n'est pas de nier l'évidence et les faits. Mais plutôt de reconnaître que les pratiques « exotiques » nocives, courantes dans le passé, n'ont plus leur place dans notre monde moderne. Comme les coups à la tête au hockey.