En principe, tout le monde s'entend: chacun doit contribuer équitablement à l'équilibre des finances publiques, qu'il s'agisse des particuliers, des entreprises ou des consommateurs. En pratique, cependant, c'est une tout autre histoire.

De l'avis des économistes, une hausse des impôts a toujours pour effet de modifier le comportement des contribuables. Or, cette réaction se traduit par une perte d'efficacité économique plus ou moins grande selon qu'il s'agisse des particuliers, des entreprises ou des consommateurs.

Autrement dit, quand le gouvernement modifie ses taux d'imposition, il doit le faire avec parcimonie afin de minimiser les distorsions économiques qui en découlent et, conséquemment, le niveau de vie de la population. Il ne suffit pas de dire: allons chercher l'argent dans les poches des entreprises et tout sera réglé, comme on l'entend parfois.

À ce sujet, une étude fort intéressante a été réalisée par les économistes Jean-François Wen, Bev Dahlby et Ergete Ferede. Les deux premiers travaillent à l'école de politiques publiques de l'Université de Calgary, tandis que le troisième est professeur au département d'économie de l'Université MacEwan, à Edmonton.

Les chercheurs ont mesuré jusqu'à quel point la collecte d'un dollar de recettes fiscales additionnelles dans les poches des particuliers, des entreprises ou des consommateurs a un impact sur l'activité économique. Leur étude, qui compare les 10 provinces, a été commandée par la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, présidée par Luc Godbout.

Avant de continuer, expliquons le concept utilisé. Quand le gouvernement augmente ses impôts d'une source fiscale donnée de 10%, il s'attend rarement à obtenir une hausse de 10% de ses recettes, puisque le contribuable modifie son comportement. Si la hausse des recettes est de seulement 8%, les économistes calculent que la mesure cause une perte d'efficacité à l'économie de 2%, ce qui équivaut à 1,25$ par dollar de recettes additionnelles (10% divisé par 8%). C'est ce qui s'appelle le coût marginal des fonds publics (CMF).

Comment les contribuables adaptent-ils leur comportement? Pour les particuliers, une plus grande charge d'impôt peut se traduire par le remplacement du travail par le loisir. Pour les entreprises, une hausse des taux d'imposition incite à transférer les profits vers des juridictions moins gourmandes ou à jouer sur les conditions de travail des employés pour demeurer concurrentielles, par exemple.

En analysant ces réactions, les chercheurs ont pu estimer les conséquences dans chacune des provinces. Ainsi, c'est au Québec qu'une nouvelle hausse de l'impôt sur le revenu des particuliers aurait les effets les plus néfastes. Pour chaque dollar de recettes fiscales additionnelles par ce moyen, estiment les chercheurs, il en coûterait 4,79$ à l'économie! Ailleurs au Canada, ce coût marginal des fonds publics varie entre 1,44$ et 2,82$.

Ce constat n'est guère surprenant, sachant que le Québec non seulement a le taux d'imposition marginal maximal (50%) le plus élevé au Canada, mais encore est l'endroit où ce taux commence à s'appliquer à partir des revenus les plus bas (136 970$).

Pour ce qui est des entreprises, les conclusions des trois économistes sont étonnantes. D'abord, au Québec, chaque dollar de recettes additionnelles qui serait pris dans les poches des entreprises aurait un impact de 6,88$, davantage que pour l'impôt des particuliers.

«L'assiette de l'impôt sur les bénéfices des sociétés est très sensible aux changements de taux d'imposition [...] elle est plus mobile que les assiettes de l'impôt sur le revenu des particuliers ou de la taxe de vente», écrivent les chercheurs, qui se basent sur plusieurs études sur le sujet.

Le Québec n'est pas le pire à ce chapitre. En Alberta, qui est très dépendant des recettes fiscales venant des entreprises, le CMF est estimé à plus de 45$ pour chaque dollar additionnel de recettes fiscales! Encore pire: en Ontario, une hausse des taux d'imposition des entreprises serait à ce point néfaste qu'il en résulterait, au bout du compte, non pas une hausse des recettes pour le gouvernement, mais une baisse!

Enfin, selon les chercheurs, la taxe de vente est le moyen le moins dommageable pour obtenir un dollar additionnel de recettes fiscales dans toutes les provinces. Le Québec a l'un des CMF les plus élevés à ce chapitre, soit 1,41$ (contre 1,31$ en Ontario), mais il est nettement moindre que l'impôt sur le revenu des entreprises ou des particuliers.

Ce faible CMF explique pourquoi la commission Godbout a recommandé une hausse de la TVQ et une baisse des impôts des particuliers dans son rapport. En effet, pour chaque dollar de recettes transférées, le gain serait de 3,38$ pour la société (4,79$ moins 1,41$), selon l'analyse des trois chercheurs.

Elle explique aussi pourquoi la TVA (l'équivalent de la TVQ) est à 25% dans certains pays scandinaves et pourquoi les pays de la zone euro ont incité la Grèce à augmenter sa TVA à 23% pour obtenir plus de recettes.

Enfin, notent les auteurs, «les effets néfastes possibles des taxes de vente sur la répartition [des revenus] constituent une préoccupation légitime des décideurs. Cependant, de telles craintes peuvent être surmontées par l'adoption de certaines mesures qui protègent les groupes vulnérables, notamment les personnes âgées à faible revenu».

D'autres économistes pourraient obtenir des chiffres différents, mais le principe demeure: viser une forme d'équité entre les types de contribuables n'est pas nécessairement ce qui est le plus souhaitable pour l'économie, le niveau de vie et le bien-être de la population.