«Permis de taxi à vendre. Affilié Champlain. Sans voiture, mais avec GPS. 186 000$. Prix négociable.»

Le modèle économique de l'industrie du taxi est absolument fascinant. Avant de pouvoir travailler une seule minute, le chauffeur doit payer une fortune. Et pour assurer sa retraite, il doit s'en remettre aux sites d'annonces classées, comme c'est le cas de cette annonce parue la semaine dernière sur Kijiji.

À Montréal, il y a environ 4400 permis de taxi, détenus par 3800 personnes. Leur nombre est rigoureusement contrôlé et leur valeur globale avoisinerait le milliard de dollars. Aucune autre industrie, par ailleurs très réglementée, n'est ainsi organisée.

Dans le jargon économique, on dit que ces permis agissent comme une «barrière à l'entrée», c'est-à-dire qu'ils bloquent la venue de nouveaux concurrents. Ce système protège le gagne-pain des détenteurs de permis, mais en même temps, il est un puissant frein à l'innovation.

Dans ce contexte, il n'est guère surprenant de constater l'électrochoc que provoque l'arrivée d'Uber. L'entreprise américaine a développé une application de réservation-paiement sur cellulaire qui est révolutionnaire, mais en même temps, elle agit en véritable délinquant.

Uber, faut-il savoir, est utilisée de deux manières, essentiellement. D'abord, des chauffeurs de taxi s'inscrivent au service pour augmenter leur volume d'affaires. Uber agit en quelque sorte comme une centrale de réservation, mais sans détenir elle-même de permis de centrale, ce qui est passible d'une amende de 350$ par course.

Ensuite, des centaines de citoyens ordinaires s'inscrivent comme chauffeurs sur le service UberX pour arrondir leurs fins de mois. Ces chauffeurs d'occasion n'assument pas les frais de financement du permis de 186 000$, ne paient pas d'assurances en sus sur leur véhicule, ne subissent pas les inspections et les vérifications d'antécédents des autorités ni ne possèdent de permis de conduire particulier. Bref, Uber les encourage à agir dans l'illégalité et à faire une concurrence déloyale aux vrais chauffeurs de taxi, dont les revenus sont souvent modestes.

Jeudi, on a eu droit à un nouvel épisode du comportement cowboy d'Uber. L'Agence du revenu du Québec a perquisitionné les locaux de l'entreprise car elle croit qu'Uber ne s'assure pas que ses chauffeurs voient au prélèvement des taxes de vente (TVQ et TPS). L'enquête ciblerait plus particulièrement les chauffeurs d'UberX.

Ce n'est pas tout. Selon une enquête de mon collègue Tristan Péloquin, tout indique que les profits d'UberX échappent au fisc, puisque l'entreprise n'a pas d'établissement stable au Canada, mais plutôt aux Pays-Bas et dans le paradis fiscal des Bermudes.

En tant que chauffeur UberX, Tristan a d'ailleurs constaté que les paiements de ses clients sont versés directement dans un compte des Pays-Bas, une juridiction qui sert de courroie vers les paradis fiscaux. Même ses chèques de paye lui venaient de ce pays néerlandais.

Uber est donc dans la ligne de mire du fisc. Elle subit aussi les foudres du Bureau du taxi de Montréal (BTM), qui a procédé à la saisie d'une soixantaine de véhicules UberX ces derniers mois.

Son application est pourtant révolutionnaire. Les clients peuvent voir sur leur téléphone la localisation précise des taxis Uber, constater leur déplacement vers eux, activer le paiement automatique de leur carte préenregistré et accorder une note au chauffeur. Tout est automatisé et hyper convivial.

Pourquoi défier les règles de l'industrie, alors que l'application à elle seule pourrait lui attirer des clients? Est-ce parce que l'avance dont dispose Uber sur ses concurrents avec son application est trop facile à combler?

Chose certaine, la venue d'Uber secoue un secteur qui est stagnant depuis des années. Elle obligera probablement l'industrie à faire un examen de conscience sur son mode de fonctionnement, ses nombreux règlements, ses principes de tarification et le service de ses chauffeurs.

Le directeur général par intérim du Bureau du taxi, Alain Rochon, admet que «l'industrie doit se redéfinir, prendre un virage et innover, mais en sauvegardant le système des permis en place».

De gros défis en vue, sachant que la concurrence qui apporte l'innovation pourrait en même temps faire baisser le prix des permis, au grand désarroi de leurs détenteurs et des institutions qui les financent.