Ce fut douloureux, mais nous y sommes. Après cinq ans de restrictions, le gouvernement fédéral obtient enfin un budget équilibré, l'un des rares sur la planète. Et à l'avenir, les déficits seront interdits par la loi, sauf exception.

Nul doute que la croissance économique des dernières années a aidé le gouvernement Harper à boucler son budget. Nul doute que le boom pétrolier de l'Ouest a permis de renflouer les coffres. Il reste que les compressions budgétaires, qualifiées de dogmatiques par certains, ont été un facteur déterminant de l'équation.

Rappelez-vous, au sortir de la crise financière, le gouvernement fédéral enregistrait un stratosphérique déficit de 55,6 milliards de dollars en 2009-2010, soit l'équivalent de 3,5% du produit intérieur brut (PIB). Sous la pression des partis de l'opposition, le gouvernement Harper, alors minoritaire, avait ouvert les vannes pour maintenir l'économie à flot, respectant ainsi les principes de l'économiste John Maynard Keynes.

Pour revenir au déficit zéro par la suite, Jim Flaherty - et maintenant Joe Oliver - a agi avec détermination, mais sans réduire les transferts aux provinces, comme l'avait fait le libéral Paul Martin dans les années 90. Le gouvernement conservateur a plutôt mis à la porte des milliers d'employés fédéraux, dégonflé l'aide internationale, charcuté Radio-Canada, déshabillé l'armée, déculotté Statistique Canada et coupé les vivres à certains scientifiques et environnementalistes, entre autres.

Le budget d'hier chiffre les impacts de ces mesures prises depuis 2010. En particulier, l'année qui commence (2015-2016) se solderait par des dépenses de 14,5 milliards de dollars de plus sans les douloureuses décisions passées, soit l'équivalent de 5% du budget de dépenses actuel (288,9 milliards). De plus, l'attention portée aux échappatoires fiscales, entre autres, a permis au fisc fédéral de récolter 4,1 milliards de dollars de plus, soit 1,4% des revenus.

Les budgets de 2010 et 2012 ont été particulièrement corsés. Les décisions de 2010 permettent cette année d'économiser 5,1 milliards, notamment au chapitre de l'aide internationale (environ 1,8 milliard de compressions) et de la défense (1,0 milliard). Le reste vient de mesures d'efficacité, entre autres. Les compressions de 2012, notamment le licenciement de 19 200 fonctionnaires, font épargner cette année 5,2 milliards au Trésor public par rapport à la structure de dépenses de 2010.

Du côté des échappatoires fiscales, l'année 2011 a été particulièrement fertile. Entre autres, le gouvernement a fermé la porte à une stratégie fiscale que certaines entreprises utilisaient pour reporter indûment des impôts. Essentiellement, des entreprises avaient recours à certaines sociétés en commandite pour reporter l'impôt. La fin de cette échappatoire permet au gouvernement de récupérer 860 millions cette année et 1,2 milliard l'an prochain.

Une loi antidéficit

Maintenant que la cible est atteinte, le gouvernement fédéral promet de ne plus retomber en déficit. Une loi semblable au Québec, mais plus sévère, sera même adoptée prochainement pour obliger les futurs gouvernements à s'astreindre à l'équilibre budgétaire.

Le seul déficit acceptable sera celui enregistré à la suite d'une récession ou dans des circonstances extraordinaires, comme une guerre ou une catastrophe naturelle, est-il indiqué dans le budget. Advenant un déficit, un plan devrait être rapidement présenté par le ministre des Finances pour retourner à l'équilibre.

Et avis à tous, des mesures sont déjà envisagées: un déficit attribuable à une récession obligerait le gouvernement à geler ses dépenses de fonctionnement et à geler les salaires des ministres et des sous-ministres. Pire: si le déficit n'est pas attribuable à une récession ou à un événement extraordinaire, la loi exigerait non seulement que les budgets soient gelés, mais que les salaires des ministres et sous-ministres soient réduits de 5%.

Bien sûr, le gouvernement qui serait alors au pouvoir pourrait changer la loi, comme ce fut le cas au Québec. La pression serait forte, cependant, pour garder le cap.

Maintenant que l'équilibre budgétaire est atteint, le gouvernement conservateur dispose d'une marge de manoeuvre pour imposer son programme. Les deux principales mesures au menu sont toutefois discutables, qu'il s'agisse du redressement du budget de l'armée ou des baisses d'impôt avec les CELI, qui favorisent les mieux nantis.

Les Canadiens pourront signifier leur désapprobation à l'automne, en élisant un autre gouvernement. Mais au moins, les finances seront en bon ordre pour mettre leur programme en oeuvre.

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IMPACT DES DÉCISIONS PASSÉES SUR LE BUDGET 2015-2016

En milliards de dollars

[Budget | Contrôle des dépenses | Élimination d'échappatoires fiscales (1) | Effet total sur 2015-2016]

2010 | 5,1 | 0,5 | 5,6

2011 | 0,5 | 1,1 | 1,7

2012 | 5,2 | 0,4 | 5,6

Mise à jour 2012 | 1,0 | 0,0 | 1,0

2013 | 0,1 | 1,6 | 1,7

Mise à jour 2013 | 1,1 | 0,0 | 1,1

2014 | 1,4 | 0,4 | 1,8

Effet total sur 2015-2016 | 14,4 | 4,0 | 18,5

(1) Inclut les mesures pour assurer la neutralité du régime fiscal, comme la baisse du crédit d'impôt pour dividendes.