La sortie d'Alain Bouchard frappe l'imaginaire. Le président d'Alimentation Couche-Tard a dit que les Québécois sont des «BS» et vivent aux crochets des autres Canadiens, grâce au programme de péréquation.

«Aimez-vous ça être sur le BS, vous autres? Ça n'a pas de maudite allure qu'on tolère ça, nous, les Québécois, qui sommes si créatifs et capables de bâtir [...], qu'on accepte d'être sur le BS. Je trouve cela complètement ridicule», a-t-il dit mercredi lors d'un événement organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).

De prime abord, je partage cet orgueil du roi des dépanneurs. Je crois que les Québécois devraient se faire une fierté d'être financièrement indépendants, individuellement comme collectivement. Cela dit, il est important de bien comprendre le programme de péréquation pour voir si, effectivement, nous vivons indûment aux dépens des autres Canadiens.

La péréquation est un programme de répartition de la richesse, enchâssé dans la Constitution de 1982. Les six provinces bénéficiaires ne reçoivent pas d'argent des autres provinces directement, mais du fédéral, qui puise ses impôts partout au Canada.

Les sommes à verser par le fédéral sont fonction de la capacité fiscale de chaque province ou, autrement dit, de leur possibilité à lever un niveau d'impôts et de taxes compte tenu de leur richesse. Essentiellement, les provinces qui ont une capacité fiscale par habitant moindre que la moyenne reçoivent des paiements de péréquation.

Cinq grandes catégories de revenus servent au calcul de la capacité fiscale: l'impôt sur le revenu des particuliers, l'impôt foncier, les taxes de vente, l'impôt sur le revenu des entreprises et les revenus liés aux ressources naturelles.

Attention, il ne s'agit pas du niveau réellement prélevé d'impôts ou de taxes dans ces provinces, mais de la capacité à lever ces impôts. Par exemple, l'Alberta n'a pas de taxe de vente, mais le calcul se base sur la taxe qu'elle pourrait prélever, selon la moyenne canadienne.

En somme, la péréquation permet en théorie à toutes les provinces de pouvoir disposer d'un bassin de revenus égal par habitant. Elle répartit la richesse.

Sachant cela, il faut s'interroger non seulement sur la richesse des provinces, mais encore sur les raisons qui expliquent cette richesse. Pour devenir riche, il faut s'instruire, avoir du flair, travailler et bien gérer ses affaires. Certains le deviennent aussi grâce à l'héritage familial, d'autres parce qu'ils sont nés sur un puits de pétrole.

Par exemple, la capacité fiscale de l'Alberta est d'environ 13 220$ par habitant, soit près du double de la capacité fiscale du Québec, de 6755$. Cependant, une grande partie de cette différence, soit environ 2200$ sur 6465$, s'explique par la capacité plus grande de l'Alberta à tirer des revenus des ressources naturelles.

De plus, cette richesse pétrolière, faut-il dire, a un effet d'entraînement sur l'ensemble de l'économie albertaine. Elle pousse à la hausse les autres catégories de revenus, comme les salaires, les profits des entreprises, la valeur des maisons et, donc, les impôts potentiels.

Qui plus est, les exportations massives de pétrole poussent le dollar canadien à la hausse, ce qui nuit aux provinces manufacturières comme le Québec et l'Ontario.

En somme, les Albertains ont du mérite pour leur richesse, mais une grande partie de l'écart - peut-être la moitié - s'explique par le pétrole et ses effets. Constat semblable pour Terre-Neuve-et-Labrador: 95% de sa capacité fiscale plus grande que le Québec est directement attribuable à l'or noir.

Certains diront que les Québécois s'opposent au développement de leur propre pétrole, mais encore faut-il que des réserves soient prouvées et exploitables, ce qui n'est pas encore le cas.

Autre remarque: parmi les six provinces bénéficiaires, le Québec reçoit la plus grosse somme de péréquation cette année, à 9,3 milliards, mais c'est en raison de sa population plus nombreuse. Lorsque les paiements sont ramenés par habitant, tel que le programme le prévoit, le Québec devient le plus petit bénéficiaire, après l'Ontario.

Le Québec reçoit ainsi 1158$ par habitant cette année, contre 2501$ à l'Île-du-Prince-Édouard, 2205$ au Nouveau-Brunswick et 150$ en Ontario (voir tableau).

Enfin, depuis 2009, le gouvernement fédéral plafonne les versements de péréquation en fonction de différents paramètres, de sorte qu'ils ne permettent plus aux provinces bénéficiaires d'atteindre la capacité fiscale moyenne des 10 provinces.

Bref, le Québec bénéficie d'un programme généreux, comme cinq autres provinces. Toutefois, même s'il devenait beaucoup plus créatif et entreprenant, comme le souhaite Alain Bouchard, il serait surprenant que le Québec comble l'énorme l'écart avec les riches provinces pétrolières. L'appellation de BS n'est donc pas méritée.

Cela dit, Alain Bouchard a raison sur une chose: les Québécois doivent travailler à combler l'écart de richesse avec la moyenne et réduire leur accoutumance aux paiements de péréquation, ce qui serait une belle façon d'acquérir leur indépendance.

Paiements de peréquation du fédéral par habitant : 



Année financière 2014-2015

Île-du-Prince-Édouard 2 501$

Nouveau-Brunswick 2 205$

Nouvelle-Écosse 1 715$

Manitoba 1 415$

Québec 1 158$

Ontario 150$