J'ai peine à y croire. Dans cinq ans, la dette du Québec commencera à baisser! Pas baisser en proportion du produit intérieur brut (PIB), mais vraiment baisser, en dollars.

Cette prévision surprenante, passée inaperçue, se trouve pourtant dans le budget du Québec du 20 février. Il s'agirait de la première baisse de la dette de l'histoire moderne du Québec. Cette prévision est-elle réaliste? Sinon, à quoi peut-on s'attendre?

D'abord, les faits. Au 31 mars 2014, la dette brute du Québec s'élèvera à 198,4 milliards. Cette situation fait du Québec la province la plus endettée au Canada - et de loin - et l'une des nations les plus endettées au monde.

Depuis cinq ans, cette dette brute a augmenté de 41 milliards, soit un rythme de croissance d'environ 8 milliards par année. Or, d'ici 5 ans, selon le budget, cette croissance annuelle reculera progressivement à environ 4 milliards, puis à 1,7 milliard et enfin, à zéro. En fait, ce n'est pas zéro, mais plutôt un recul symbolique de 101 millions au terme de l'année financière 2018-2019, dans 5 ans.

Sachant l'importance grandissante de la dette et les énormes frais d'intérêt annuels, cette baisse serait une nouvelle sensationnelle.

Trois facteurs contribuent à la croissance de la dette: les déficits annuels, les investissements dans les infrastructures et, enfin, les placements, prêts et avances aux sociétés d'État ou aux projets, comme la cimenterie de Port-Daniel-Gascons (350 millions). Un facteur contribue à la baisse de la dette: le Fonds des générations.

Bien franchement, je ne crois pas que la dette baissera. Néanmoins, il est bien possible que son rythme de croissance recule significativement.

Voyons voir. Ces dernières années, le Québec a investi massivement dans ses routes et ses ponts. Il le fera encore, mais après cette corvée, les investissements annuels reculeront nettement d'ici cinq ans, prévoit le Ministère. Les sommes injectées dans nos routes ne viennent pas engraisser le déficit annuel, elles sont plutôt inscrites directement à la dette. Or, comme les investissements diminueront, la croissance de la dette ralentira.

Un autre phénomène aura un impact sur ce poste: l'amortissement. Quand le Québec construit un viaduc, dont la durée de vie est de 30 ans, par exemple, il inscrit dans son budget, chaque année, un trentième de l'investissement, ce qu'on appelle l'amortissement.

Comme le réseau a bénéficié d'énormes investissements ces dernières années, le poste d'amortissement a explosé. Cette année, il s'est élevé à 3,6 milliards. Il croîtra à un rythme d'environ 250 millions par année d'ici 5 ans, pour atteindre probablement près de 5 milliards au terme de l'année 2018-2019.

Or, l'amortissement n'est qu'une écriture comptable. Dans les faits, le gouvernement n'a pas à décaisser d'argent pour le payer. Dit autrement, le déficit annuel de 2013-2014, de 2,5 milliards, se transforme en surplus de trésorerie quand on tient compte de l'amortissement de 3,6 milliards. Ce surplus vient réduire la dette, et comme il va en s'accroissant, il contribue à ralentir significativement la croissance de la dette.

L'impact est d'autant plus important quand on conjugue les deux, soit la chute des investissements et la hausse des amortissements, ce qu'on appelle les immobilisations nettes. Globalement, la croissance des immobilisations annuelles nettes passera de 5,2 milliards en 2013-2014 à seulement 1,7 milliard dans 5 ans, prévoit le Ministère. Ce recul de 3,5 milliards est ce qui contribuerait le plus à freiner la croissance de la dette.

D'autre part, le Fonds des générations deviendra déterminant. D'ici cinq ans, on versera dans le Fonds l'indexation du prix de l'électricité patrimoniale, entre autres, mais aussi une partie de la taxe sur les boissons alcooliques. En y ajoutant notamment les revenus de placement du Fonds, les versements annuels au Fonds bondiraient de presque 2 milliards, ce qui contribuerait à diminuer la dette.

Les deux autres facteurs influençant la croissance de l'endettement, soit les déficits et les placements dans les entreprises, sont plus incertains. Le gouvernement parviendra-t-il à atteindre le déficit zéro au terme de l'exercice 2015-2016, tel que promis? On peut en douter, compte tenu des efforts importants de compressions des dépenses que signifie un tel objectif et les hausses incertaines de revenus.

Quant aux placements, prêts et avances aux entreprises, la prévision budgétaire apparaît optimiste. Bon an, mal an, le gouvernement, qu'il soit péquiste ou libéral, investit 1,5 milliard dans divers projets. Cette somme inclut les réinvestissements annuels d'environ 600 millions dans Hydro-Québec. Or, dans 5 ans, ce niveau annuel chuterait de 1,5 milliard, à seulement 860 millions, ce qui signifierait que le gouvernement deviendrait soudainement moins interventionniste dans l'économie.

Bref, tout pris en compte, je ne crois pas que la dette commencera à baisser dans cinq ans. Néanmoins, la chute des immobilisations nettes et le boom du Fonds des générations pourraient contribuer à en réduire significativement la croissance. Suffisamment, en tous cas, pour que la dette brute passe, enfin, sous la barre des 50% du PIB. Croisons les doigts.

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POURQUOI LA DETTE BAISSERAIT-ELLE D'ICI CINQ ANS?

Chute du rythme annuel de croissance de la dette par segment (en milliards de dollars)

Baisse des investissements annuels en immobilisation: 3,5 Fin prévue des déficits : 2,5 Hausse annuelle du Fonds des générations : 2

Baisse annuelle des placements, prêts et avances : 0,5

Autres* : -1,7

Baisse totale du rythme annuel de croissance: 6,7

*Le secteur Autres, très fluctuant, est lié aux variations des comptes à recevoir et des

comptes à payer

Source : Budget du Québec