Dégeler l'argent du Fonds de solidarité FTQ soulagerait les investisseurs, mais provoquerait un retrait massif des fonds et nuirait aux PME, donc à l'économie du Québec.

Voilà ce que craignent, essentiellement, les opposants à l'idée lancée dans ma chronique de jeudi dernier. La suggestion fait néanmoins l'objet d'un large appui de la part des lecteurs investisseurs, qui se sentent pris en otage du Fonds, étant tenus d'y laisser leur argent jusqu'à la retraite, peu importe les décisions douteuses de la direction.

Permettez-moi de vous convaincre de la pertinence de l'idée en y mettant un peu de substance. Ma suggestion deviendra d'autant plus intéressante pour le Fonds lui-même, paradoxalement, que le fédéral se retirera progressivement d'ici 2017, faisant reculer le crédit d'impôt de 30 à 15%.

D'abord, entendons-nous sur une chose. Il n'est pas question d'ouvrir toute grande la porte aux retraits. Genre: dès le 1er février, un, deux, trois, go! vous pouvez tout retirer. Il n'y a pas un gouvernement, pas un économiste sérieux qui pourrait suggérer une telle chose.

Les gouvernements offrent un crédit d'impôt de 30%, rappelons-le, pour compenser les rendements plus faibles du Fonds FTQ à long terme, étant donné sa mission de sauver des emplois, notamment. En échange, l'argent doit y être gelé jusqu'à la retraite.

Cette règle pose divers problèmes. D'abord, elle rend les décisions des dirigeants du Fonds FTQ imperméables aux réactions des investisseurs. Peu importe qu'on y fasse ou non des placements douteux, les investisseurs sont pris en otages.

Ensuite, la règle rend le crédit d'impôt nettement plus avantageux pour les investisseurs plus près de la retraite. En effet, plus on approche de la retraite, plus l'investissement et le crédit d'impôt de 30% deviennent avantageux, puisque l'argent peut être retiré plus rapidement.

Le mécanisme est donc discriminatoire envers les plus jeunes ou, du moins, il n'encourage pas autant les jeunes à y investir. Pourquoi, à l'âge de 60 ans, a-t-on le droit à un crédit équivalant à 6% par an (30% sur 5 ans avant la retraite), alors que le crédit n'est que de 1% par an à l'âge de 35 ans (30% sur 30 ans avant la retraite)?

Un crédit de 10 ans

Pour remédier à ces problèmes, je suggère d'arrimer le crédit d'impôt à un nombre minimum d'années de présence de l'argent dans le Fonds. Par exemple, le crédit de 30% pourrait être accordé à la condition que l'investisseur y reste 10 ans (3% par an).

Après 10 ans, l'investisseur pourrait liquider ses fonds sans pénalité. Celui qui veut retirer l'argent avant devrait rembourser aux gouvernements la part du crédit d'impôt qui correspond au nombre d'années avant 10 ans (par exemple, 3% X 4 ans). Les fonds, destinés à la retraite, seraient alors versés dans ce qu'on appelle un CRI, soit un compte de retraite immobilisé.

Ce changement est d'autant plus pertinent avec le retrait du fédéral et le passage du crédit à 15% plutôt que 30%. En effet, il est clair que le crédit à 15%, venant uniquement du provincial, rendra le Fonds passablement moins attrayant. Par contre, avec la possibilité de retirer les fonds après 10 ans (ou à tout moment moyennant une pénalité), l'investissement plus liquide retrouverait son avantage pour les épargnants.

Le Fonds n'aurait plus nécessairement à promettre des rendements plus importants pour compenser la perte de la portion fédérale de 15% du crédit. Et les PME plus risquées pourraient donc continuer à bénéficier d'un capital accommodant.

Ce genre de mesures a fait ses preuves. Avec Capital coopératif Desjardins, par exemple, les investisseurs ne peuvent retirer leur argent avant 7 ans pour bénéficier du crédit d'impôt de 50% du gouvernement provincial (hors REER). La demande pour ce produit excède d'ailleurs largement l'offre.

Ceux qui craignent des problèmes de liquidités au fonds peuvent se rassurer. D'abord, l'échéance de 10 ans pour se retirer sans pénalité étalerait les retraits dans le temps. Ensuite, le Fonds dispose d'une part très importante d'obligations, tel que l'oblige sa loi constitutive, qui sont des titres liquides.

Le Fonds FTQ et Fondaction CSN demeurent pertinents. Ils continuent d'aider les PME du Québec, et leurs décisions douteuses ne touchent évidemment qu'une petite partie de leurs investissements. Ils continuent d'ailleurs de procurer des rendements.

Cependant, avec le fonctionnement actuel des crédits d'impôt et le gel des fonds, les dirigeants peuvent bénéficier de la captivité des investisseurs et ils sont moins redevables que les dirigeants des autres fonds communs. D'ailleurs, qui peut dire si le rendement de 7,4% du Fonds en 2013 en est un bon, puisqu'il n'y a pas de comparables?

Bien sûr que ces mesures changeraient le Fonds FTQ (et Fondaction CSN). Mais n'est-ce pas souhaitable, compte tenu de ce qu'on entend à la commission Charbonneau? Compte tenu du contexte où le Fonds perdra la moitié de son crédit d'impôt? Et étant donné que le Fonds est maintenant arrivé à maturité, avec près de 10 milliards de dollars d'actifs?