Il s'agit d'une excellente nouvelle, vraiment. Prenons le temps d'en mesurer la portée et, pourquoi pas, de sabler le champagne. Surtout dans le contexte où l'actualité économique n'a pas été féconde ces derniers temps.

Le 2 janvier, deux firmes d'actuaires ont fait le même constat: le changement de certains paramètres économiques en 2013 a complètement transformé le portrait des régimes de retraite au Canada. À tel point que ces changements viennent pratiquement régler la crise qui existe pour plusieurs régimes du secteur privé depuis cinq ans, et qui a fait l'objet du rapport D'Amours.

Pour comprendre, il faut savoir que la santé des régimes privés se mesure notamment par le ratio de solvabilité. Un taux de 100% signifie que le régime peut assurer pleinement les obligations promises aux retraités, tandis qu'un taux de 75%, seulement les trois quarts. Lorsqu'une entreprise a un taux moindre que 100%, elle a un déficit et elle doit le combler, sur 5 ou 10 ans. Les déficits des régimes ont miné la viabilité de certaines entreprises, comme Postes Canada.

Or, ces ratios de solvabilité ont explosé en 2013, selon les firmes de consultants Aon Hewitt et Mercer. Au début de l'année, seulement 6% des clients de Mercer avaient un régime pleinement capitalisé (100% ou plus). Cette proportion est passée à 40% à la fin de 2013.

Pour les autres régimes, le ratio de solvabilité n'est pas de 100%, mais il s'est tout de même nettement amélioré. Environ 54% des régimes de Mercer ont même un ratio entre 80 et 100%. En somme, la situation est encore très problématique pour seulement 6% des régimes, dont le ratio est de moins de 80%. L'échantillon de Mercer est considérable: ses clients administrent 607 régimes de retraite.

De son côté, la firme Aon constate que le ratio médian de ses régimes est passé de 68,6% il y a un an à 93,4% aujourd'hui, un bond de presque 25 points. Pour les dirigeants d'Aon et de Mercer, le redressement est «spectaculaire», totalement inattendu.

Essentiellement, trois raisons expliquent l'embellie. D'abord, le rendement des obligations du gouvernement du Canada à long terme a bondi, passant de 2,3% à 3,2%. Cette hausse de 0,9 point paraît petite, mais il faut savoir qu'elle a une incidence considérable sur la valeur actuelle des régimes. De fait, toute hausse d'un point de pourcentage des taux à long terme permet aux régimes d'améliorer leur ratio de solvabilité de 10 à 15%.

La hausse n'est peut-être pas terminée. Mardi, le discret gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a affirmé que les taux d'intérêt à long terme pourraient encore augmenter d'ici l'été, à la lumière des politiques économiques américaines.

Autre élément: les excellents rendements des marchés financiers. Mercer estime qu'un portefeuille équilibré a procuré un rendement de 12,8%, en moyenne. Les nombreux régimes qui ont des actions à l'étranger ont profité de la baisse du dollar canadien. Les actions américaines et internationales ont ainsi explosé de 41 et 32%, le meilleur rendement en 20 ans.

Hydro, Postes Canada et Labeaume

Cette amélioration constitue une excellente nouvelle pour Hydro-Québec et Postes Canada, dont les régimes sont fortement déficitaires lorsqu'ils sont calculés sur une base de solvabilité. En 2012, leur ratio de solvabilité était respectivement de 78% et 75%, ce qui correspondait à des déficits de 4,6 milliards et 5,9 milliards. Ces déficits les ont obligés à faire des versements respectifs de 394 millions et 961 millions en 2012. Tout indique que l'embellie de 2013 leur permettra de respirer.

Malheureusement, rien ne changera pour la plupart des autres organismes publics, comme les municipalités et les universités. En effet, pour illustrer les difficultés de leurs régimes, les municipalités n'utilisent pas le ratio de solvabilité, mais le ratio de capitalisation. La loi ne les oblige pas à recourir au ratio de solvabilité - mesure plus exigeante - puisque ces organismes publics ne peuvent pas déclarer faillite, contrairement aux entreprises.

Or, ces ratios de capitalisation fluctuent moins fortement et sont peu sensibles à une hausse des taux d'intérêt à long terme, contrairement aux ratios de solvabilité. Pour l'ensemble des municipalités, le déficit de capitalisation s'élevait à 3,9 milliards (la moitié à Montréal) à la fin de 2012, et le ratio de capitalisation était de 81,6%. Peu d'amélioration à ce chapitre en 2013, donc.

L'embellie demeure toutefois salutaire pour bien des entreprises et leurs employés. Il s'agit maintenant de consolider les gains. «Attention, la situation peut changer rapidement. Certains régimes doivent en profiter pour diminuer leurs risques, notamment en les transférant à des compagnies d'assurances», suggère Hubert Tremblay, conseiller principal de Mercer.

Même son de cloche de l'économiste Luc Godbout, un des membres de la commission D'Amours. «Si cette amélioration favorise des discussions sereines pour régler le dossier une fois pour toutes, tant mieux. Mais elle ne doit pas inciter les acteurs à se croiser les bras.»