- Salut, Suzanne, c'est Marlene, mairesse de Boisbriand. Comment ça va?

- Très bien. Toi?

- Pas mal. Dis-moi, Suzanne, j'ai jeté un coup d'oeil à vos indicateurs de gestion, à Sainte-Julie. Franchement, j'ai été surprise. Comment faites-vous pour dépenser aussi peu?

- Nous sommes très attentifs à la gestion des coûts et de la dette, effectivement. Je m'y applique depuis je suis devenue mairesse, il y a huit ans.

- Coudonc, les déneigez-vous, vos rues, à Sainte-Julie? Une dépense de déneigement de 2870$ par kilomètre, c'est une aubaine. Chez nous, à Boisbriand, c'est 2,3 fois plus élevé, à 6600$. Je me trouvais bonne par rapport à Mascouche, qui frôle les 7200$, mais j'ai arrêté de comparer depuis l'histoire des bornes-fontaines.

- On les déneige, certain! On est même reconnus pour l'excellence de notre déneigement. Même les pistes cyclables sont déneigées l'hiver. Cela dit, on ne la ramasse pas toute. Une partie est poussée sur les emprises de rue, assez larges.

- Ouin. Est-ce qu'on peut se rencontrer pour en discuter plus longuement? Figure-toi que nos dépenses globales avoisinent les 1748$ par habitant, soit 40% de plus que chez vous! J'aimerais voir quels services vous offrez pour si peu, question de voir ce qu'on peut améliorer.

Cette conversation entre les mairesses de Sainte-Julie et de Boisbriand n'a pas eu lieu, bien entendu. Mais les chiffres des deux villes de la Rive-Sud et de la couronne nord sont bien exacts: Sainte-Julie, qui compte 29 310 habitants, est nettement moins dépensière que Boisbriand, pourtant de taille comparable (26 696 habitants). Sainte-Julie rivalise aussi avec les autres municipalités de la région.

Ce constat frappant est apparu dans le palmarès des municipalités publié lundi dans La Presse. Le professeur Robert Gagné et son équipe de HEC Montréal ont décortiqué les dépenses des municipalités. En plus du déneigement, le palmarès passe au crible les dépenses pour les services de police, d'incendie, pour l'aqueduc, le ramassage des déchets, etc. Les résultats, fort intéressants, sont disponibles sur notre site internet.

Entre autres, on y constate que le coût des services dans l'île de Montréal est faramineux, excédant de 60% celui des autres municipalités. Une ville de l'île comme Pointe-Claire, qui doit éponger une partie des dépenses centrales, dépense 9976$ par kilomètre de rue pour son déneigement, soit 3,5 fois plus que Sainte-Julie, pourtant de taille comparable.

Aussi intéressants soient-ils, ce n'est pas des résultats que je veux parler, mais bien de l'absence de points de repère fiables pour les municipalités. En effet, les données qui ont servi à établir le palmarès ont été extirpées par HEC Montréal au ministère des Affaires municipales, qui les avaient obtenues des municipalités elles-mêmes. Or, les postes de dépenses ne sont pas parfaitement définis par le Ministère, si bien que certaines pommes peuvent être rouges pour les unes et vertes pour les autres.

Surtout, on ne connaît pas le niveau de services offerts en échange des coûts engendrés. Jusqu'où déneige-t-on? Combien de collectes des ordures fait-on?

Le palmarès donne une idée des coûts et permet aux citoyens de s'interroger sur un écart de 40% entre deux villes semblables, par exemple, mais pas plus.

L'absence de points de comparaison, ou d'étalonnage (benchmarking), est renversante. Les villes du Québec comptent globalement pour 16% de l'économie, mais elles n'ont aucun repère financier sérieux pour se comparer.

Le constat est d'autant plus étonnant que la plupart des villes ne sont pas en concurrence entre elles. Leurs administrations pourraient s'échanger des renseignements cruciaux pour s'améliorer. Ce n'est malheureusement pas le cas - ou rarement le cas -, avons-nous pu constater en discutant avec des administrations municipales.

En Ontario, un système sophistiqué a été instauré pour établir des comparaisons. Il est organisé et géré non pas par le Ministère, mais par les villes elles-mêmes. Son nom: l'Ontario Municipal CAO's Benchmarking Initiative (www.OMBI.ca).

Le dernier rapport, qui porte sur l'année 2011, compare 16 municipalités, dont 14 de l'Ontario, comptant pour les deux tiers de la population. Le rapport de 2011 comprendra aussi les villes de Winnipeg et de Calgary.

Au total, l'OMBI passe en revue 37 services municipaux grâce à 850 indicateurs. On y compare les coûts et les services rendus. Par exemple, pour les bibliothèques, l'OMBI mesure le nombre annuel d'heures d'ouverture par habitant, le nombre de livres par habitant, le coût moyen de chaque emprunt, etc.

«Mesurer la performance est une saine pratique de gestion [...]. Elle aide les municipalités à trouver des occasions pour améliorer les services, tout en identifiant de meilleures pratiques, qui peuvent s'appliquer aux autres. Il y a aussi les attentes des résidants pour des programmes plus efficaces et efficients», est-il expliqué sur le site de l'OMBI.

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour les imiter?