Le Québec doit-il subventionner les multinationales informatiques? Cette chronique parue samedi a suscité de nombreuses réactions, tant favorables que défavorables.

L'importance du débat et des sommes en jeu mérite qu'on s'y attarde. Rappelons que le gouvernement du Québec a reconduit pour 10 ans son programme de crédit d'impôt pour certains emplois en informatique. Il y consacre 230 millions de dollars par année.

La mesure s'appelle le crédit d'impôt pour le développement des affaires électroniques (CDAE). Des crédits d'impôt équivalant à 30% des salaires des emplois admissibles sont versés jusqu'à concurrence de 20 000$ (22 500$ à partir de 2016). Une grande part des sommes est versée à des multinationales comme CGI ou IBM.

Michel Rosciszewski, ex-haut fonctionnaire du gouvernement qui a travaillé dans le domaine, estime que la mesure est pertinente. "À la lumière des résultats en termes d'emplois et de retombées, ce n'est pas parfait, mais c'est assez positif. Une partie des produits et services est exportée. C'est parfois mieux que de soutenir des industries traditionnelles comme GM ou Whirlpool, pour n'en citer que deux. Ou un nouveau Colisée de 500 millions de dollars (sic, 400 millions).»

CGI, dont le siège social est au Québec, ne serait jamais devenue ce qu'elle est sans le soutien du gouvernement, croit-il. L'entreprise compte maintenant près de 70 000 employés dans le monde et est l'une des plus importantes firmes informatiques.

Un consultant informatique d'expérience croit la même chose. «Jamais les grandes compagnies comme IBM, Accenture, Fujitsu, CSC n'auraient augmenté leur effectif à Montréal sans cette aide et sans le fait qu'elles voyaient CGI grossir. Il y a maintenant ce qu'on peut appeler des centres d'excellence à Montréal.»

Convenons-en, la mesure fut probablement pertinente, mais l'est-elle encore? En 2025, au terme du programme CDAE, l'industrie aura bénéficié du soutien gouvernemental pendant presque 30 ans. Des milliards de dollars auront été versés. Et le taux de chômage dans les technologies de l'information (TI) est seulement de 3% aujourd'hui.

Ne serait-il pas préférable, au contraire, de réduire progressivement les crédits à 25%, puis à 20% plutôt que les maintenir à 30%? Les compétences des Québécois ne sont-elles pas suffisantes pour concurrencer le monde et conserver les emplois de haut niveau?

Un informaticien qui a perdu son emploi au détriment d'un employé de l'Inde fait valoir qu'on n'a pas le choix. En 2009, par exemple, IBM a transféré de Montréal vers l'Inde une bonne partie des services offerts à une institution financière du Québec.

Quitter le Québec

Luc Préfontaine, entrepreneur en informatique, ne voit pas du tout les choses du même oeil. Il croit que l'interventionnisme économique ne fonctionne pas. «Mes impôts servent à subventionner des entreprises en informatique qui n'innovent pas. Aucune créativité, zéro. Il n'y a plus de place au soleil pour les PME, les gros subventionnés prennent toute la place», dit-il.

Désabusé, il soutient qu'il quittera le Québec pour le Maroc d'ici un an. «J'ai un produit pour l'informatisation locale dans les hôpitaux. Pas moyen de l'implanter ici. Là-bas, c'est table rase, le rêve de tout développeur. Je divorce du Québec et j'emporte l'expertise et tout le tintouin», dit-il.

L'entrepreneur Pierre Laplante, président de SedNove, soutient pour sa part que les PME aussi ont aussi bénéficié du programme CDAE. SedNove développe des sites web comportant notamment du commerce électronique. «Le Québec est très en retard en matière de commerce électronique. C'est maintenant ou jamais», dit-il.

Un consultant d'expérience fait valoir que, partout, les industries sont subventionnées. «Je suis allé au Brésil, en Inde dans la région où se développent les grands centres de support informatique, au Maroc où des centres d'appels sont transférés. Ces États fournissent tous des aides de diverses façons: locaux, congé de taxes, subventions à l'embauche», dit-il.

Une étude sur les subventions

Une récente étude de Raymond Chabot Grant Thornton constate qu'effectivement, une aide gouvernementale est offerte dans plusieurs pays. Elle prend toutefois souvent la forme d'un taux d'imposition réduit pour les entreprises en TI, comme en Chine ou en Ukraine, ou de subventions versées aux PME qui font implanter des solutions de commerce électronique pour leurs propres besoins, comme en Belgique ou en Finlande.

Au Québec, contrairement à la Finlande ou à la Belgique, le gouvernement a choisi d'appuyer les entreprises qui offrent des services informatiques plutôt que des firmes qui demandent des services. N'aurait-il pas été préférable de soutenir la demande pour inciter les entreprises à améliorer leur productivité? Au ministère des Finances du Québec, on affirme que le soutien de la demande aurait été trop coûteux.