S'il est un modèle que bien des Québécois ont adulé durant les années 70-80, c'est bien celui des pays scandinaves. Les sociaux-démocrates du Québec ont vanté la vitalité de ces économies nordiques et leur répartition de la richesse, possible grâce à la présence d'un État fort.

L'étoile des pays scandinaves a toutefois pâli dans les années 1990 et 2000. Le poids de l'État et les forts taux d'imposition ont miné la croissance et augmenté la dette publique. Or, voilà que la Suède, la Finlande, le Danemark et la Norvège redeviennent l'exemple à suivre, grâce à des réformes qui devraient inspirer le Québec.

La recette scandinave vient de faire l'objet d'un reportage étoffé dans la prestigieuse revue anglaise The Economist. Tout y a été couvert: les finances de l'État, l'éducation, le monde des affaires et même les problèmes d'intégration des immigrants, qui ont fait surface avec la tuerie d'Anders Breivik.

En 1996, la dette publique de la Suède atteignait un dangereux sommet de 85% du produit intérieur brut (PIB). À l'époque, ce taux était un des plus imposants des pays industrialisés. Or, avec les réformes, il est passé à 49% du PIB en 2011, un exploit.

En comparaison, la dette publique du Québec a suivi le chemin inverse ces dernières années. Elle dépasse maintenant 100% du PIB si l'on inclut notre part de la dette fédérale, ce qui nous place dans la même situation relative que la Suède il y a 20 ans.

Pour régler leurs problèmes, les Scandinaves ont dû faire preuve de pragmatisme et s'imposer de douloureuses réformes. Pour commencer, un pays comme la Suède a progressivement diminué ses lourds impôts. Le taux marginal maximum sur les revenus des particuliers est ainsi passé de 85% en 1983 à 57% aujourd'hui (il est de 50% au Québec).

Il faut dire que des entrepreneurs avaient quitté le pays, comme le fondateur d'IKEA, Ingvar Kamprad, parti pour la Suisse, et le fondateur de Tetra Pak, Hans Rausing, qui avait emporté ses pénates au Royaume-Uni.

Plusieurs taxes (sur le capital, les biens, l'héritage) ont aussi été coupées et, surprise, l'impôt sur les profits des entreprises est maintenant moins élevé en Suède qu'au Québec (22% contre 26,9%). En contrepartie, ils ont fortement haussé certaines taxes à la consommation.

Pour maintenir leur système social, les Scandinaves ont dû en augmenter rapidement l'efficacité. Ainsi, ils ont mis leurs services publics en concurrence directe avec le privé. Et certains groupes de fonctionnaires sont rémunérés à la performance plutôt que seulement selon l'ancienneté. En Suède, la majorité des nouvelles cliniques de santé et des garderies sont construites par le privé avec des fonds privés. Et l'État impose un ticket modérateur en santé.

Les écoles y sont aussi mises en concurrence. Au public, les parents ne sont pas tenus d'envoyer leurs enfants dans leur école de quartier. Le gouvernement suédois leur verse plutôt un chèque pour qu'ils choisissent l'école de leur choix, publique ou privée, rapporte The Economist. Près de la moitié optent pour une école autre que celle de leur quartier.

Cette préoccupation pour la productivité dans le secteur public vaut aussi pour le privé. Les entreprises investissent dans la recherche, l'innovation et la formation; la créativité est une obsession. La Finlande regorge de nouvelles entreprises technos (Angry Birds, Skype, etc.).

Résultat: la croissance annuelle de la productivité du travail atteint des sommets en Finlande depuis 30 ans (2,5%), et le niveau est également très respectable en Suède (1,8%), au Danemark (1,6%) et en Norvège (1,9%). En comparaison, la croissance est de 1,3% au Canada et 1,1% au Québec, selon une étude du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

Autre réforme douloureuse: les régimes de retraite. En 1998, la Suède a converti son régime public de retraite à prestations déterminées en un régime à cotisations déterminées. Ce changement a enlevé beaucoup de pression, puisque le gouvernement n'a plus à garantir une rente déterminée pour les retraités.

Les reporters de The Economist constatent les bienfaits du système public de garde d'enfants. Comme au Québec, ce système a fait bondir la participation des femmes au marché du travail.

Les Scandinaves ont une grande confiance envers leurs semblables, leurs institutions publiques et leurs gouvernements, jugés généralement transparents et honnêtes. Cette confiance réduit les contrôles inutiles: «Pas besoin de recourir aux poursuites à l'américaine ou aux compensations à l'italienne pour faire avancer les dossiers», écrit The Economist.

Le Québec vit la situation inverse: les citoyens sont de plus en plus méfiants envers leurs pairs et leurs institutions; une commission d'enquête fait rage.

En somme, les pays scandinaves ont su repenser leurs façons de faire tout en maintenant une société égalitaire, mais il a fallu plusieurs années de réformes courageuses et des consensus difficiles pour y parvenir.

Le Québec devra bouger s'il veut aspirer à un style de vie à la scandinave. Les nécessaires changements exigeront des sacrifices de tous, autant des particuliers que des syndicats, des entreprises et des gouvernements. Et il faudra mettre un verbe clé à son agenda: innover.