Pas de doute, les pauvres du Québec sont parmi les moins imposés dans le monde. Même chose pour les familles très moyennes avec enfants, celles qui gagnent 58 000$ par année.

Ce constat devrait nous amener à conclure que le Québec a l'un des systèmes les plus généreux pour les moins nantis. Or, voilà que, par une contorsion de l'esprit, l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques du Québec (IRIS) finit essentiellement par conclure l'inverse dans une étude publiée jeudi. Il est faux de prétendre que le Québec est le territoire le plus imposé, dit l'IRIS, qui ajoute qu'il faut donc augmenter les impôts des riches. Vous pigez?

Je ne voulais pas écrire sur l'étude de l'IRIS. Je trouve tout à fait sain que des organismes remettent en question certaines idées reçues. Et je suis partisan d'une redistribution juste de la richesse. Mais les conclusions de l'IRIS sont à ce point tordues qu'elles n'aident pas le débat, elles lui nuisent.

L'IRIS est aussi à gauche que l'Institut Fraser de Vancouver est à droite. Sur ses onze chercheurs en titre, huit sont diplômés en sociologie ou en politique et un seul se dit économiste.

Pour comparer, l'IRIS utilise une méthodologie qui est crédible, bien que limitée. Ce sont surtout les conclusions qu'elle tire qui sont bancales. Cette méthodologie ne compare pas le taux d'imposition pour un même salaire, mais utilise plutôt le salaire moyen de chaque pays, ainsi qu'une proportion de ce salaire moyen (67% et 167% du salaire moyen, par exemple).

Selon l'étude, un célibataire qui gagne 29 285$ par année au Québec est au deuxième rang des moins imposés des 13 pays comparés (taux net de 16,9%). Un couple avec deux enfants qui gagne un seul salaire de 43 710$ (le salaire moyen au Québec) ne paie pas d'impôt au Québec, soit la situation la plus enviable des pays étudiés. Les couples avec enfants sont au troisième rang des mieux traités sur les 13 pays (taux net de 17,9%).

L'IRIS a donc raison de dire que, pour ces ménages, qui constituent une grande proportion des Québécois, le système fiscal est plus avantageux.

Le premier problème, c'est qu'il n'y a rien de nouveau dans cette conclusion. Plusieurs études largement connues en ont fait état, dont celle de l'économiste Luc Godbout publiée il y a six ans et dont le livre a été baptisé Le Québec, paradis des familles.

Le titre de son livre sur le sujet a d'ailleurs été emprunté à l'auteur de ces lignes pour un reportage que j'avais fait - et qui tirait les mêmes conclusions - en 2006.

De plus, l'IRIS constate que les célibataires qui font 43 710$ - le salaire moyen - sont les 7e plus imposés (25,7%) sur les 13 pays choisis, devant le Canada et les États-Unis. À 72 995$ (167% du salaire moyen), le Québec devient le 8e plus imposé (31,1%), devant le Canada et les États-Unis.

Aucune comparaison n'est faite pour ceux qui paient le gros des impôts au Québec, soit les 15% de contribuables gagnant plus de 70 000$. Ce groupe paie la moitié de l'impôt sur le revenu, selon les statistiques fiscales du ministère des Finances. C'est de ce groupe dont on parle lorsqu'il est question de forts niveaux d'impôts par rapport aux voisins.

Malgré tout, l'IRIS ose conclure: «L'analyse des différents cas types nous permet de voir que le Québec n'est pas, au final, le territoire le plus imposé et affiche, au contraire, des charges fiscales nettes plus basses que la majorité des pays du G7, de l'Australie et des pays scandinaves.» Pardon?

«L'IRIS tire des conclusions pour l'ensemble des Québécois à partir d'un sous-groupe. Ce n'est pas convaincant», dit Jean-Pierre Aubry, économiste qui a été cadre supérieur pendant 20 ans à la Banque du Canada.

L'autre faiblesse tient à la méthodologie. Comparer l'impôt sur le salaire moyen de chaque région est louable, mais la réalité qui est préoccupante n'a rien à voir avec le salaire moyen.

Plusieurs autres provinces canadiennes et plusieurs États américains offrent de meilleurs salaires pour un même emploi. Demandez aux médecins ou aux informaticiens. Les coûts de la vie ailleurs y sont parfois plus élevés, mais au final, il en reste beaucoup moins dans les poches des célibataires québécois à revenus moyens ou des couples québécois gagnant plus de 100 000$.

L'IRIS déplore par ailleurs que les Québécois qui paient l'essentiel des impôts aient vu leur taux d'imposition baisser depuis la fin des années 90. C'est oublier la réalité étouffante de l'époque. Les gouvernements combattaient avec véhémence les déficits.

Les tables d'impôts n'étaient pas indexées. Et c'est le ministre des Finances péquiste de l'époque, le pas très néolibéral Bernard Landry, qui a accordé la plus forte baisse d'impôts, en 1998.

Pour avoir un portrait plus juste, il faut estimer le poids de l'ensemble des impôts sur le revenu des particuliers par rapport à notre économie, croit M. Aubry.

À ce chapitre, une étude de Luc Godbout calcule que ce poids équivaut à 12,6% du produit intérieur brut (PIB), soit le 3e niveau en importance des grands pays du monde, après le Danemark et la Suède. Le Québec devance l'Italie (11,7%), le reste du Canada (10,8%), les États-Unis (8,1%) et même la France (7,3%).

En somme, les Québécois ne sont pas les plus imposés des grands pays, ils sont troisièmes. Faut-il devenir premier?