Chers étudiants, j'ai une proposition à vous faire. Que diriez-vous d'une baisse draconienne des droits de scolarité pour la plupart d'entre vous? Que diriez-vous de couper de moitié les droits pour les étudiants du premier cycle en lettres, en sciences humaines, en droit et en administration?

Je comprends, vous êtes sceptiques. Mais cette suggestion n'est pas un rêve: elle est basée sur les estimations très sérieuses de Michel Poitevin, le directeur du département de sciences économiques de l'Université de Montréal. L'économiste a chiffré les droits de scolarité qui pourraient être facturés si le ministre Pierre Duchesne acceptait la formule de Guy Breton, le recteur de l'Université de Montréal.

Rappelons la formule. Guy Breton propose que chaque étudiant paie une part égale de ses coûts de formation, comme ça se fait presque partout ailleurs en Amérique du Nord. Actuellement, au Québec, un étudiant en histoire paie environ 40% du coût de sa formation, contre 5% pour un étudiant en médecine vétérinaire. Est-ce équitable?

Michel Poitevin a simulé les nouveaux droits de scolarité des 24 disciplines universitaires en fonction de cette hypothèse de part égale. Il a établi ces nouveaux droits pour que l'université obtienne les mêmes revenus, au bout du compte. Son modèle est basé sur la situation qui prévaut à l'Université de Montréal.

Les résultats sont étonnants (1). Actuellement, les droits de scolarité annuels s'élèvent à 2167$, en moyenne, pour 10 cours (30 crédits). En appliquant la nouvelle formule, les droits de scolarité de la discipline la moins coûteuse, les lettres, chuteraient à 815$ au premier cycle, une baisse de plus de 60%! Les étudiants en sciences humaines et en administration ne paieraient que 900$, ceux en droit, 1140$ et ceux en génie, 1720$.

Globalement, 85% des étudiants au premier cycle - le baccalauréat - verraient leurs droits de scolarité diminuer de 5% à 62%. Qu'en pensez-vous?

Évidemment, pour que l'Université de Montréal obtienne les mêmes revenus, il faut que certains paient plus. Et Michel Poitevin estime que six disciplines sur 24 écoperaient d'une forte hausse. Les futurs médecins verraient leurs droits grimper à 3340$ (+54%), les futurs optométristes, à 4395$ (+102%), les futurs dentistes, à 6510$ (+200%) et les futurs vétérinaires, à 7900$ (+265%).

Certes, leur hausse est salée, mais ces étudiants ne seront-ils pas ceux qui feront la plus grosse paye en sortant? En moyenne, un médecin gagne 254 000$ au Québec, un salaire bien supérieur à ce que fera un bachelier en histoire ou en lettres. Rembourser les dettes d'études leur est beaucoup moins douloureux.

C'est connu, les étudiants les plus militants venaient des facultés de sciences humaines, de sciences sociales et de politique. Si la formule Breton est adoptée, ces carrés rouge foncé vont-ils remplir les rues de Montréal pour défendre les étudiants en médecine, eux qui sont sagement rentrés étudier quand leur session a été compromise?

Selon les calculs de l'économiste, les étudiants en musique et en beaux-arts seraient aussi frappés par une hausse, de l'ordre de 250$ (+12%), leur formation étant plus coûteuse en raison des instruments et des équipements, notamment. Mais ce n'est pas la mer à boire, non?

Bien sûr, le modèle de Poitevin est imparfait. L'économiste base ses calculs sur la structure de coûts de l'Université de Montréal, qui compte probablement une plus grande proportion d'étudiants de disciplines éventuellement payantes que la moyenne des universités. Si son analyse avait été faite avec l'ensemble des étudiants au Québec, il y a lieu de croire que les écarts avec les droits de scolarité actuels auraient été moins grands, à la hausse comme à la baisse.

Autre facteur: les études de deuxième cycle connaîtraient elles aussi une hausse importante des droits, puisque la formation coûte plus cher, notamment en raison du plus faible nombre d'étudiants par professeur. Mais prises ensemble, les années du bac suivies de la maîtrise reviendraient moins cher à une majorité d'étudiants, estime Michel Poitevin. Tout de même, le système devrait prévoir des bourses généreuses pour ne pas freiner l'accès aux études de deuxième cycle et de doctorat.

Au bout du compte, faut-il ajouter, ce scénario a été proposé pour moduler une éventuelle hausse globale des revenus des universités. En supposant une hausse raisonnable des droits, la proportion des étudiants épargnés ne serait plus de 85%, comme dans les calculs de Poitevin, mais peut-être de 80% ou 75%. C'est encore beaucoup!

Dernier élément: la formule Breton pourrait désavantager quelque peu les universités qui n'ont pas de facultés de médecine ou de dentisterie, comme les universités régionales et l'UQAM. Leurs revenus pourraient diminuer un peu, mais rendu là, les politiciens pourraient sûrement trouver un ajustement acceptable, ne croyez-vous pas?

Chers étudiants, ce n'est pas la gratuité, mais pensez-y avant de dire non. En ce moment, c'est la proposition la plus sérieuse depuis des lunes pour accommoder les carrés rouges, les carrés verts et les recteurs.

(1) Le rapport sera publié à la mi-février.