Un film de zombies n'est jamais parfait. Probablement qu'aucun n'a reçu le statut de chef-d'oeuvre dans l'histoire du cinéma - même le classique de 1968 Night of the Living Dead, de George A. Romero, est coté 4 (c'est-à-dire juste « bon »).

À défaut de se hisser dans les sommets du septième art, le film de zombies, en revanche, reste increvable, et se range du côté du culte avec ses hordes de fans. Toutes les cinématographies nationales devraient en avoir au moins un. J'étais bien excitée quand Robin Aubert a offert au Québec Les affamés, et je le suis tout autant avec Blood Quantum, premier film de zombies réalisé par un autochtone, Jeff Barnaby, qui a été révélé par Rhymes for Young Ghouls en 2013.

L'an dernier, j'étais allée sur le tournage de Blood Quantum à Listuguj, son patelin d'enfance. C'était tout un événement pour la communauté micmaque, solidaire du projet de fou de Barnaby, qui a même fait fermer le pont J.C. Van Horne entre le Québec et le Nouveau-Brunswick pour un tournage de nuit. L'ambiance était fébrile, avec une équipe mixte constituée de francos et d'anglos, et une distribution principalement autochtone.

Un film de zombies est rarement parfait parce qu'il est la plupart du temps réalisé dans l'urgence avec peu de moyens, et s'appuie sur une longue tradition qui multiplie souvent les clichés. Mais il sert toujours à faire passer un message, sinon une pilule amère, avec une bonne gorgée de sang.

En ce sens, Blood Quantum contient des idées vraiment géniales, qui apportent un nouveau souffle au genre. D'abord le titre, qui fait allusion à cette pratique des « lois des degrés de sang » pour déterminer la pureté du lignage, et ce, pour le détourner au profit du film. Dans cette nouvelle apocalypse zombie, seuls les autochtones sont immunisés contre le virus, et les Blancs deviennent des réfugiés qui leur demandent de l'aide... au risque de les mettre en danger. Encore une fois. Car l'apocalypse, eux, ça fait quelques siècles qu'ils la vivent. Pour vrai.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Le réalisateur Jeff Barnaby a présenté son film Blood Quantum au Toronto International Film Festival, le 6 septembre dernier.

« Je pense que le film de zombies a perdu un peu son côté politique dans les dernières années », me dit Jeff Barnaby, que j'ai joint pour quelques minutes à Toronto, où il venait de présenter Blood Quantum à la section Midnight Madness du TIFF, devant un public enthousiaste. « Je voulais ramener mon film aux racines du genre, comme à la fin des années 60 avec Night of the Living Dead, quand c'était un homme noir qui avait le rôle principal. Au début du projet, ce n'était pas voulu politique, nous cherchions seulement des angles originaux, et quand j'ai sorti l'idée que les autochtones étaient immunisés contre la maladie, ça a cliqué. Ça avait du sens. Le film s'écrivait tout seul. »

Les possibilités infinies du genre

Pour Jeff Barnaby, la culture pop et les films d'horreur ont été plus que du divertissement. « Quiconque a grandi dans les années 80 a un peu grandi devant la télévision, et nous voyons en ce moment, avec la nostalgie de ces années, que c'était un sommet de la culture pop, mais pour moi, c'était de la survie », explique celui qui a vécu le racisme dès son plus jeune âge. Dans Blood Quantum, qui se déroule au début de cette décennie, il y a des références notamment à Incident at Restigouche d'Alanis Obomsawin (ça commence avec des saumons zombies !) ainsi qu'à la crise d'Oka.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Les accessoiristes préparent une ambulance accidentée en vue d'une prochaine prise du film Blood Quantum.

« Il y avait des aspects de mon enfance que je ne pouvais exprimer, alors je me suis perdu dans les films d'horreur, c'était une évasion. »

- Jeff Barnaby

Il croit d'ailleurs que le film de genre peut canaliser la colère, la rage et la frustration de belle façon, et rejoindre bien plus de gens qu'un documentaire. « Vous avez un dialogue qui est bien plus facile, sans heurter les sensibilités. »

Il permet aussi de transposer l'éternel combat entre le bien et le mal à l'intérieur même de sa communauté. On en a soupé, Barnaby en premier, des personnages autochtones « magiques » dotés de la sagesse ancestrale qui apparaissent dans les films seulement pour faire bifurquer le héros blanc dans la bonne direction. Dans Blood Quantum, il y a des bons et des méchants autochtones, et ils s'engueulent quant à savoir s'ils doivent aider ou non ces Blancs possiblement contaminés qui cognent à leurs portes en leur disant encore, quasiment, « speak white ». « Mais ce sont des êtres humains, eux aussi », dit Traylor (Michael Greyeyes), le héros du film (et là, j'avoue que j'ai ri). On retrouve malgré tout la touche réaliste et frontale du Barnaby de Rhymes for Young Ghouls, avec de l'humour parfois pas mal trash, mais avec du gore en bonus. « C'est important pour moi de bien représenter les gens que je montre à l'écran », dit-il, précisant qu'il a un siècle de mauvaises représentations de « l'Indien » à l'écran à surmonter.

On n'a pas idée à quel point c'est important. L'an dernier, tous les comédiens du film avaient participé à une rencontre à l'école Alaqsite'w Gitpu pour entendre parler des métiers du cinéma et être invités à rêver d'un avenir dans le domaine. Venant d'eux, les espoirs semblaient permis. D'ailleurs, Jeff Barnaby, qui voue une admiration sans borne à Alanis Obomsawin, a repiqué des images de ses films telles quelles pour le sien, en guise d'hommage. « Si elle n'avait pas existé, je n'existerais pas comme cinéaste. »

Tel un John Carpenter à ses débuts, Barnaby s'est décarcassé pour son film en cumulant les fonctions de scénariste, de réalisateur et de monteur, en plus de travailler à la bande sonore. Blood Quantum a été du gros boulot pour lui - ils ont même dû arrêter le tournage à un moment donné pour trouver un dernier financement. Depuis sa présentation à Toronto la semaine passée, le film a reçu des critiques mitigées - normal, c'est un film de zombies. Mais je pense que le public blanc doit rater la moitié des blagues de ce film qui contient de nombreux clins d'oeil, de l'humour noir, du cinéma d'animation, un type avec un sabre, beaucoup de sang et des zombies blancs. Quand Jeff Barnaby ira le présenter à son peuple à Listuguj, ce sera un événement. Parce que ce l'est : pour la première fois dans le genre, c'est le colonialisme qui se fait bouffer tout cru.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le réalisateur Jeff Barnaby en plein travail durant le tournage de Blood Quantum