Le candidat à la direction du Parti québécois, Jean-François Lisée, a lancé l'idée la semaine dernière de geler le salaire des médecins, peut-être pendant dix ans, pour récupérer les hausses salariales abusives dont ils auraient profité depuis quelques années.

On reconnaît là le talent de l'ex-ministre pour lancer des débats capables de susciter des réactions et de toucher une fibre populiste. On sait tous qu'il est assez rentable ces jours-ci de taper sur les médecins. Mais voilà un dossier où M. Lisée n'a pas mis à contribution ce qui est pourtant son principal talent, sa capacité d'aborder les problèmes une approche rigoureuse et rationnelle.

Je suis bien d'accord avec lui sur son point de départ. Si les médecins ont reçu une rémunération qui dépasse les objectifs initiaux et qui dépasse le sens commun, il serait normal de prévoir un mécanisme de récupération, une forme de rattrapage à l'envers, que ce soit le gel ou autre chose.

Mais avant de foncer, et d'en faire un engagement électoral, il manque deux éléments essentiels. D'abord, il faut définir ce que signifie une rémunération raisonnable. Ensuite, il faut mesurer précisément la rémunération des médecins pour savoir s'ils ont vraiment dépassé ce seuil.

D'abord, qu'est-ce qu'une rémunération juste ? M. Lisée estime que la norme selon laquelle la rémunération des médecins québécois doit rejoindre la moyenne canadienne doit être abandonnée, parce que, selon lui, il faut tenir compte du fait que le niveau de vie et le coût de la vie sont plus bas au Québec. Mais il défonce une porte ouverte, parce que ce principe a toujours été reconnu dans les négociations entre l'État et les médecins.

Pour comprendre ce qui se passe maintenant, il faut remonter à 2003, quand le ministre de la santé du gouvernement Landry, François Legault, a signé une lettre d'entente avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) qui reconnaissait l'existence d'un écart entre les spécialistes québécois et canadiens et la nécessité d'un redressement pour que la rémunération soit concurrentielle. À l'époque, les spécialistes québécois étaient les moins bien payés au Canada.

On a ensuite formé un Comité d'étude sur la rémunération des médecins spécialistes composé de représentants de la FMSQ et du gouvernement, mais présidé par une experte indépendante, Diane Marleau. En 2004, ce comité a conclu à l'existence d'un important écart, mais sans s'entendre sur son ampleur : 47 % pour la rémunération brute selon la FMSQ, 34,2 % selon le gouvernement, tandis que l'experte penchait pour la version des médecins, en plaçant l'écart entre 40 % et 47 %. Mais le comité a pondéré ces résultats en tenant compte du coût de la vie, mesuré par les différences dans la rémunération horaire moyenne, ce qui retranchait 6,6 %, ainsi que de la charge de travail. En bout de ligne, les médecins évaluaient à 44 %, le gouvernement à 10 % et l'experte entre 26 % et 38 %. Tout ça pour dire que l'écart était une réalité, que le rattrapage se défendait et que les principes sur lesquels il était établi étaient corrects.

La deuxième question consiste à savoir de quelle façon ce rattrapage s'est opéré. Les données dont nous disposons permettent de craindre qu'on a trop rattrapé. C'est mon collègue Francis Vailles qui a sonné l'alarme en fouillant dans les données de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS). Les omnipraticiens québécois touchaient 256 000 $ en 2014, les ontariens, 246 000 $. Les spécialistes québécois, 408 000 $, les ontariens, 345 900 $. Pourtant, nos médecins devraient toucher moins, 12 % de moins, selon l'économiste Pierre Fortin, pour tenir compte du coût de la vie.

À mon avis, ces données de l'ICIS permettent de lancer un sérieux avertissement, mais ne suffisent pas pour sauter aux conclusions. Il y a beaucoup d'autres facteurs dont il faut tenir compte pour faire une comparaison complète sur la nature des tâches, la façon dont elles sont rétribuées. Il y a d'autres lectures de la situation, par exemple celle du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, qui estime qu'on est à la parité, mais quelle parité ? On ne sait pas. Avec quels chiffres ? Il ne les montre pas. De toutes façons, est-il fiable, lui qui a négocié ces ententes ?

La vérité, c'est qu'on ne sait pas. La vérificatrice générale, en novembre dernier, révélait que le gouvernement et les fédérations de médecins devaient créer des comités pour faire de véritables évaluations. Cela ne s'est jamais fait.

La vérificatrice recommandait donc de « s'assurer de disposer des outils nécessaires à la comparaison interprovinciale de la rémunération des médecins en vue de dresser un portrait rigoureux de la situation ».

C'est par là qu'il faut commencer. Une évaluation exhaustive, indépendante et transparente, pour éviter les horreurs auxquelles ont mené des négociations derrière des portes closes. Ce devrait être une priorité, urgente pour les finances publiques, pour la confiance du public, pour l'équité.

Et quand on saura exactement où nous en sommes, nous saurons quoi faire, corriger la rémunération des médecins d'une façon ou d'une autre si on a trop rattrapé, ou arrêter de dénoncer les revenus des médecins si la comparaison montre qu'ils sont raisonnables. Ça s'appelle baser ses politiques sur des faits probants.