Il y a deux façons de voir l'économie du Québec. On peut se réjouir du fait qu'elle se porte relativement bien, qu'elle n'est pas en crise comme plusieurs pays d'Europe, que le taux de chômage est assez bas. Ou encore, on peut s'inquiéter de son taux de croissance insuffisant, de sa faible productivité. Je me range dans cette deuxième catégorie. Et ce n'est pas, à mon avis, une simple question de verre à moitié vide ou à moitié plein.

Il est vrai que l'économie du Québec ne va pas mal. Mais sa performance franchement médiocre, si on la compare à des économies qui vont vraiment bien, a des conséquences sérieuses. Moins d'activité économique, moins d'argent pour les gens, moins d'emplois, moins d'impôt pour les gouvernements, et surtout, beaucoup plus de vulnérabilité pour affronter la crise démographique québécoise et les grands bouleversements de l'économie mondiale.

Pour ces raisons, je crois depuis longtemps que le Québec doit faire de l'augmentation de son niveau de vie et du rattrapage avec les économies performantes sa grande priorité. J'en ai fait un combat personnel dans mes éditoriaux, mes chroniques et un essai, que j'ai publié il y a 10 ans, Éloge de la richesse.

La création de richesse était le thème d'un atelier auquel je participais cette semaine au congrès annuel de l'Association des économistes québécois, où Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, a d'abord présenté des statistiques connues, mais qu'il faut répéter et répéter.

Le PIB par habitant du Québec, en 2014, en dollars canadiens, avec parité du pouvoir d'achat, était de 45 048 $, un peu mieux que l'Italie (43 717 $) ou l'Espagne (41 471 $), mais derrière la France (48 522 $) et très loin derrière la Suède (55 847 $), l'Allemagne (56 243 $), l'Australie (57 912 $) ou les Pays-Bas (59 494 $).

En fait, le Québec est quatre fois plus près de l'Espagne, qu'il devance de 8,6 %, que des Pays-Bas, qui le dépassent de 32 %. Ces chiffres, que l'on appelle le niveau de vie, décrivent très imparfaitement la qualité de vie. Mais ils mesurent très bien la performance d'une économie. Ils disent que si le Québec faisait comme les Pays-Bas, son PIB grossirait de 115 milliards.

Le plus troublant, c'est qu'on tourne en rond depuis des décennies. On connaît le problème, on connaît aussi les solutions, on a multiplié les études et les politiques gouvernementales. Et pourtant, malgré tous les atouts du Québec, rien n'y fait : la productivité et le niveau de vie de ses habitants restent parmi les plus bas des pays avancés.

Que faut-il faire de plus ? À cette question que posait le colloque, ma réponse est qu'on est peut-être arrivé au bout de ce que les économistes peuvent faire.

Pour aller plus loin, il faut quitter l'unique terrain de l'économie et travailler à réduire les blocages qui rendent difficile, sinon impossible, une adhésion suffisante à des projets de développement économique.

Cette résistance tient en partie au fait que les Québécois s'accommodent de la situation actuelle, mais surtout au fait que beaucoup d'entre eux craignent que la logique économique menace la solidarité.

Pour briser ce mur, le gouvernement du Québec doit travailler sur trois fronts. D'abord démontrer que, dans les sociétés avancées, il y a une convergence entre le progrès social et le progrès économique. Parce que la solidarité sans moyens, ça n'existe pas. Parce que le succès économique, sauf aux États-Unis, repose aussi sur les politiques sociales, qui réduisent les inégalités, améliorent la qualité de vie, augmentent la qualité de la main d'oeuvre, favorisent l'innovation.

La démonstration n'aura de sens que si elle se traduit dans l'action. C'est le deuxième front : une philosophie et une vision claire pour que la multiplicité des gestes que pose l'État s'intègre dans un projet cohérent. Cette vision, je la cherche. L'exemple le plus frappant, ce fut les coupes en éducation, un véritable non-sens dans une conception plus large du développement économique.

Enfin, pour mobiliser les gens, il faut des projets qui frappent l'imagination et illustrent la direction que l'on veut prendre. Comme miser sur l'éducation, si c'est bien fait, parce que cela permet à la fois de soutenir la croissance et de réduire la pauvreté. Ou le train léger sur rail, qui stimule la croissance tout en améliorant la qualité de vie et en appuyant la lutte contre les changements climatiques. Deux exemples de projets qui montrent de façon concrète comment l'économique et le social peuvent avancer main dans la main, et pourquoi créer de la richesse n'est pas un péché.