Quand Denis Coderre a émis un commentaire sur les Jeux olympiques au début de la semaine, il ne pouvait sans doute pas s'imaginer que ses propos déclencheraient des réactions courroucées à Québec.

Commentant le refus du Comité olympique américain de s'associer à Québec pour la tenue de Jeux, il a dit : «Ils sont venus me voir pour me dire que ce serait intéressant d'avoir notre expertise. Mais je suis dans un autre domaine. Comme vous le savez, il y a la question du baseball éventuellement. Et je privilégie avoir des événements internationaux, mais pas nécessairement les Olympiques. Ça coûte cher.»

Il parlait de Montréal, pas de Québec. Il évoquait ses préférences comme maire de Montréal sans critiquer l'idée de Jeux à Québec. Et quand il parlait de coûts, il énonçait une évidence, car les dépassements de budgets et le gigantisme des Jeux hantent le CIO.

Mais le maire de Québec, Régis Labeaume, s'est déchaîné : «Méchante fausse balle. J'ai dit à Denis que je trouvais cela cheap. Ça ne se faisait pas».

Qu'est-ce qui ne se fait pas ? Donner son opinion ? Évoquer la question des coûts ? «J'ai demandé à Denis, a-t-il ajouté, de faire attention parce que ça se pourrait qu'on commence à trouver qu'il y a des choses à Montréal qui coûtent cher.» Une petite menace en prime.

Pourquoi cette sortie véhémente ? En raison de la rivalité Montréal-Québec, qui s'exprime surtout à sens unique, très absente dans la métropole, omniprésente dans la capitale.

Denis Coderre n'a pas critiqué le projet très embryonnaire et hypothétique de Jeux à Québec. Mais il a commis une faute impardonnable, parce ses propos pouvaient donner l'impression que Montréal disait quoi faire à Québec. Pesez sur ce piton-là, et vous avez un réflexe automatique.

Cette même mécanique Montréal-Québec a sans doute joué dans l'autre événement qui nous est venu de Québec cette semaine, le tweet minable de l'animateur de radio Jeff Fillion sur le suicide du fils d'Alexandre Taillefer.

L'homme d'affaires montréalais était déjà une des têtes de Turc de l'animateur d'Énergie, sans doute parce qu'il incarne quelque chose de trop montréalais. Mais le congédiement de l'animateur par Bell, parce qu'il était allé trop loin, n'a pas été unanimement applaudi à Québec. Le lendemain, Le Journal de Québec a mis bien en vue sur sa page d'accueil un blogue intitulé «Salut, Jeff» qui, sans appuyer l'animateur, lui exprimait de la sympathie. Pour bien des gens, ce congédiement annoncé par Bell, propriétaire d'Énergie, est une décision prise à Montréal pour satisfaire les sensibilités montréalaises.

Il faut dire que l'existence de ce type de radio, dont Fillion était un symbole, qu'on décrit correctement comme de la radio-poubelle, est elle aussi une résultante de cette opposition entre Montréal et Québec. La capitale a largement été dépossédée de ses médias. La télévision se fait à Montréal. Le Journal de Québec est un sous-produit de celui de Montréal. Le Soleil, jusqu'à son acquisition récente par le Groupe Capitales Médias, faisait partie de Gesca. Ce qui reste spécifique à Québec, c'est la radio. Mais pourquoi a-t-elle pris la forme qu'on lui connaît ?

La caractéristique première de cette radio, c'est la colère. Des animateurs violents, enragés, indignés. Et s'ils règnent sur les ondes, s'ils sont si incontournables, c'est parce qu'il y a un public. À Montréal, cette radio ne fonctionne pas. Mais à Québec, elle nourrit et se nourrit de la colère d'une bonne partie de la population.

D'où vient cette colère ? En partie, du ressentiment envers Montréal, mais surtout, des divisions de classe, exprimées géographiquement par la Haute-Ville et la Basse-Ville. La coupure entre le secteur public et les autres. Environ 35 % des travailleurs de Québec sont payés par l'État, contre 24 % à Montréal. Les deux tiers des travailleurs ne sont donc pas dans le secteur public, ce qui peut expliquer le paradoxe qu'une ville de fonctionnaires soit aussi anti-gouvernement, à travers sa radio, mais aussi dans ses choix électoraux.

Cette colère, le maire Labeaume l'exprime dans son style et ses propos. Le sociologue de formation s'est en quelque sorte bâti un personnage, pour être à la fois capable de poursuivre l'oeuvre de Jean-Paul L'Allier tout en réussissant à plaire à la partie de la population qui se reconnaît dans cette radio. Ce qui explique ses coups de gueule, comme son inutile sortie contre le maire de Montréal.