Le remaniement ministériel que le premier ministre Philippe Couillard a dû annoncer n'est pas un événement heureux, tant au plan humain, parce qu'il a été imposé par la maladie du ministre Pierre Moreau, qu'au plan politique, parce que le gouvernement libéral perd pour un certain temps l'un de ses piliers et que cela force à une autre chaise musicale dans un monde de l'éducation qui a surtout besoin de stabilité et de continuité.

Mais ce chamboulement comporte un aspect positif. La ministre de la Culture, Hélène David, devient ministre responsable de l'Enseignement supérieur. Elle a été professeure, vice-rectrice, sous-ministre de l'Éducation responsable des universités. Le monde universitaire pourra donc compter sur une ministre qui le connaît et le comprend. Et qui, on l'espère, sera capable de le défendre. Il en a bien besoin.

Depuis quelques années, le réseau des universités a été littéralement trahi par les gouvernements qui se sont succédé.

Il a été affaibli par deux grands chocs, le printemps érable et les politiques d'austérité, dont les effets se sont combinés pour créer une tempête parfaite.

À un premier niveau, le printemps érable, qui prenait son envol il y a exactement quatre ans, a eu un effet direct mesurable. Le gouvernement Marois a acquiescé aux demandes du mouvement étudiant et renversé en 2013 la hausse des droits de scolarité du gouvernement Charest. Une grande victoire pour les étudiants. Mais pour les universités, cela représente 332 millions de moins en 2016, soit plus de 10 % de leur budget. Cela les a privées d'une somme cumulative de 988 millions depuis 2012.

Le printemps érable a eu des effets beaucoup plus insidieux. D'abord, l'affaiblissement du réseau universitaire. Copiant le modèle des luttes ouvrières, le mouvement étudiant a ciblé les recteurs et les administrations universitaires perçus comme l'équivalent des patrons. On a critiqué leur gestion, leurs choix, leur rémunération. Une attitude reprise par le gouvernement Marois lors du Sommet sur l'éducation supérieure, début 2013, qui s'est largement transformé en tribunal d'inquisition contre les recteurs dont on cherchait à mettre les établissements en quasi-tutelle. Cela a mené à l'implosion de la CREPUQ, l'organisme qui représentait les recteurs, incapable de concilier la division entre ses membres. Les directions des universités et, par voie de conséquence, le monde des universités se sont retrouvés affaiblis, discrédités, sans voix forte dans le débat public.

Le deuxième grand impact du printemps érable, c'est d'avoir réussi à mettre fin au consensus voulant que les universités du Québec souffraient d'un sous-financement important quand on les comparait aux autres universités canadiennes. Une somme qui, selon les évaluations, oscillerait entre 500 et 800 millions. Les associations étudiantes, en contestant l'idée que les universités manquaient d'argent, voulaient démontrer que les hausses des droits de scolarité n'étaient pas nécessaires. Une approche reprise à son compte par le ministre péquiste Pierre Duchesne. Résultat, le dossier du financement universitaire est mort et enterré.

C'est alors qu'est intervenue la loi de la moindre résistance. Les gouvernements Marois et Couillard, dans leurs efforts pour s'attaquer au déficit, ont davantage coupé là où les résistances sont les moins fortes et les coûts politiques les moins élevés. Les universités, affaiblies, et qui n'ont jamais eu la cote, sont devenues des cibles de choix. Les vagues de coupes se sont succédé d'un gouvernement à l'autre pour totaliser 270 millions, soit 9,7 % de leur budget. Les recteurs ont été avertis récemment de s'attendre à d'autres coupes. Bref, elles ont vu leurs ressources fondre quand elles avaient besoin d'une injection de fonds.

Le recteur de l'Université de Montréal, Guy Breton, notait, à la fin de l'année dernière : « Entre 2008 et aujourd'hui, la dépense par étudiant a augmenté d'à peine 9 % à l'Université de Montréal, de 33 % à l'Université de Toronto et de près de 42 % à l'Université de Colombie-Britannique. »

D'autres données décrivent le même genre d'écart. Par exemple, de 2000 à 2011, les revenus de fonctionnement des universités québécoises ont augmenté de 90 % au Québec, beaucoup moins que dans les provinces auxquelles il doit se comparer : 142 % en Ontario, 171 % en Alberta, 124 % en Colombie-Britannique. Même chose pour le nombre de professeurs à temps plein : une hausse de 20 % au Québec, contre 32 % en Ontario, 51 % en Alberta, et 86 % en Colombie-Britannique.

Tout cela ne paraît pas trop. Les universités se débrouillent. Mais à quel prix ?

Le taux de décrochage scolaire, plus élevé qu'ailleurs, augmente. La part des fonds de recherche obtenus par les universités québécoises commence à baisser, entre autres parce qu'elles ont moins de professeurs. Et surtout, les universités n'ont pas les ressources dont elles ont besoin pour se développer et s'améliorer, faire plus.

On désinvestit, dans l'indifférence générale, dans un domaine qui est au coeur de notre succès futur, qui est à la base de l'économie du savoir, qui fait la force de nos grandes villes.