Au lendemain des Fêtes, les expressions d'indignation se sont multipliées à la radio et dans les journaux contre le prix du chou-fleur : 6,49 $ pour un petit, pas plus gros qu'un pamplemousse.

Les gens y ont vu un symbole de l'explosion des prix alimentaires qui grèverait le pouvoir d'achat en 2016.

Le symbole était mal choisi. Parce que même si le chou-fleur atteint des prix exorbitants, cela n'aura à peu près aucun effet sur le budget familial ou le pouvoir d'achat, et ce, pour une raison très simple. Quand les consommateurs, à l'épicerie, tombent sur des choux-fleurs qui coûtent la peau des fesses, ils n'en achèteront tout simplement pas. Ils choisiront autre chose comme des carottes, dont le prix est stable, ou s'ils veulent rester dans le monde des crucifères, ils se rabattront sur des choux, du kale ou des choux de Bruxelles.

Le seul impact sur leur vie quotidienne sera d'être privé de manger du chou-fleur cette semaine-là. Leur pouvoir d'achat restera intact.

C'est la même chose quand la hausse du prix du boeuf pousse les consommateurs vers le porc ou le poulet.

Ce mécanisme d'autodéfense est assez connu pour que la Banque du Canada ait publié des études sur les biais de mesure de l'indice des prix à la consommation, qui surestime l'inflation, notamment parce qu'il ne tient pas compte du réflexe des consommateurs de substituer des produits.

Le cas du chou-fleur permet d'illustrer comment fonctionnent les mécanismes d'ajustement des prix. Quand il n'y a pas beaucoup de choux-fleurs parce que des événements climatiques ont affecté la production, la rareté créera une pression qui fera grimper les prix. Ou encore, si les coûts de production sont élevés parce qu'on est hors saison, les prix élevés feront en sorte qu'il y aura beaucoup moins d'acheteurs. À l'inverse, en période de surabondance, par exemple dans le cas des tomates au mois d'août, les producteurs réduisent leurs prix pour écouler leurs tomates.

Ce sont les mécanismes du marché, où l'équilibre entre l'offre et la demande se fait à travers l'ajustement des prix. On associe, à tort, ces jeux d'ajustement de l'offre et de la demande au capitalisme. C'est tout à fait faux. Ces mécanismes reflètent des comportements humains parfaitement naturels qui existaient bien avant la création de la monnaie ou à plus forte raison l'avènement du capitalisme.

Dans la Grèce antique, on peut être certains que le prix des figues tombait quand le gros de la récolte arrivait aux marchés. À Rome, les mauvaises récoltes faisaient grimper le prix du blé. On sait aussi que les gens sont prêts à payer plus cher quand ils tiennent vraiment à quelque chose, par exemple la maison pour laquelle ils ont un coup de coeur. Dans Richard III, de Shakespeare, quand le roi lance « A horse ! A horse ! My kingdom for a horse ! », il reflète le fait que l'on est parfois prêts à payer un prix exorbitant pour quelque chose.

Ce qui est plus récent, c'est la formalisation de ces comportements par la science économique au XIXe siècle, notamment avec la loi de l'offre et de la demande. Et ce qui est capitaliste, c'est le fait de tout vouloir soumettre à ces mécanismes de marché et à tout justifier par la logique des marchés.

Le même raisonnement s'applique à un autre débat qui a meublé le temps des Fêtes, celui des tarifs exponentiels exigés par Uber. Ces tarifs sont déterminés par des algorithmes. Si beaucoup de gens veulent utiliser Uber et que peu de chauffeurs sont volontaires, le prix augmente. Il a vraiment explosé, le 31 décembre, pour atteindre par exemple 300 $ pour aller à L'Île-Bizard. On s'est déchaînés contre Uber, Juripop a envoyé une assez risible mise en demeure contre l'entreprise, on a dénoncé ce capitalisme sauvage.

Mon collègue Patrick Lagacé a bien expliqué pourquoi il ne fallait pas pleurer sur le sort de ceux qui ont payé le gros prix. Les gens n'avaient qu'à refuser de faire appel aux services d'Uber. Et ceux qui estiment être des victimes l'ont été soit parce qu'ils n'ont pas regardé le prix que l'application leur demandait, soit parce que leurs fonctions cognitives ont été émoussées par leurs libations. Cependant, Uber, une entreprise de technos, pourrait prévoir une alerte quand les prix explosent ou encore éviter les prix ridicules.

Mais ce n'est pas un cas de capitalisme sauvage, parce que Uber n'est pas en situation de monopole et que les consommateurs avaient d'autres options. Ils pouvaient dire non, prendre un taxi, attendre la reprise des transports en commun à l'aube, ou coucher en ville. Ils avaient le choix, comme pour le chou-fleur.