Il n'y a pas d'expression pour décrire le contraire d'un cadeau empoisonné. C'est dommage, car ce serait très utile pour décrire ce qui arrive depuis quelques jours au chef néo-démocrate Thomas Mulcair.

On parle de cadeau empoisonné quand on découvre que ce qui semblait être un cadeau est en fait une malédiction. L'inverse, ce serait quand on croit avoir administré à quelqu'un une bonne dose de poison pour découvrir qu'on lui a plutôt offert un cadeau sur un plateau d'argent.

Le poison, ce sont de vieilles déclarations de M. Mulcair, dégotées par des bloquistes, que ceux-ci espéraient être dévastatrices. En 2001, à l'Assemblée nationale, alors qu'il était député de l'opposition libérale, il a fait l'éloge de Margaret Thatcher. À la même époque, il avait aussi fait l'apologie du marché : 

« Un gouvernement ne devrait jamais avoir la prétention de pouvoir se substituer au marché privé, ça ne marche pas, avait-il dit. Ça ne marchait pas en Angleterre. Jusqu'au temps de Thatcher, c'est ça qu'ils ont essayé, le gouvernement avait son nez dans tout. Un vent de liberté et de libéralisme dans les marchés a soufflé en Angleterre et, au lieu d'être un des pays les moins performants dans toute l'Europe, c'est devenu un des pays les plus performants. »

Les bloquistes croyaient que ces révélations seraient assassines. Comment le chef du parti qui incarne la gauche au Canada pouvait-il encenser celle qui incarne le néo-libéralisme dans ce qu'il a de plus brutal ? Mais dans les faits, cette révélation a plutôt donné un coup de pouce au chef néo-démocrate. Voici pourquoi le poison s'est transformé en cadeau.

Au Québec, ça n'a rien changé, parce qu'on connaît très peu le NPD et qu'on connaît bien Thomas Mulcair. Celui-ci a d'abord été un politicien provincial, député libéral avec Daniel Johnson et ensuite ministre en vue du cabinet Charest, dont il a d'ailleurs démissionné avec fracas. On savait donc que sa trajectoire politique n'a pas été linéaire. Et la méconnaissance du NPD fait en sorte qu'on ne réalise pas pleinement à quel point ses propos pouvaient être une hérésie.

Mais au Canada anglais, là où la bataille électorale se joue, c'est le contraire : on ne connaît pas beaucoup M. Mulcair, mais on connaît bien son parti. Le NPD fédéral est un éternel parti d'opposition, contrairement aux NPD provinciaux qui ont souvent formé des gouvernements.

C'est une forme de gauche assez similaire à celle des travaillistes britanniques. Très proche des centrales syndicales. Par exemple, quand Jack Layton a été choisi comme chef en 2003, les syndicats détenaient automatiquement 25 % des votes ! Parce qu'il n'a jamais été confronté aux contraintes du pouvoir, le parti est resté idéaliste et généreux, ce qui est bien, mais il est resté figé dans le temps, ce qui l'est moins, en défendant une conception poussiéreuse et dogmatique de ce qu'est la gauche. Jusqu'en 2013, il se définissait comme socialiste et prônait encore les vieilles recettes de la planification étatique de l'économie et des nationalisations.

Au Royaume-Uni, Tony Blair avait réalisé, en 1994, que jamais le Parti travailliste ne reprendrait le pouvoir s'il ne se transformait pas. Le NPD, avec beaucoup de retard, sous l'impulsion de Jack Layton, a lui aussi amorcé un processus de recentrage qui s'est accéléré avec le choix de Thomas Mulcair comme successeur. L'abandon du vocable socialiste est un symbole de ce changement. On peut en voir la portée en comparant deux versions du préambule des statuts du parti : un monde sépare celle d'avril 2013 de celle de juin 2011.

Ce virage reflète le fait que le NPD, après son succès inespéré au Québec, a pu entrevoir la possibilité de former un jour le gouvernement, à condition qu'il puisse migrer vers le centre, là où se trouve le consensus canadien.

Au Canada anglais et surtout en Ontario, où le passage du gouvernement de Bob Rae a laissé de très mauvais souvenirs, le parti de M. Mulcair, pour convaincre les électeurs qui ne sont pas des néo-démocrates convaincus d'appuyer le NPD, doit pouvoir démontrer que ce recentrage est profond et durable.

Voilà pourquoi les révélations sur le passé idéologique de Thomas Mulcair, qui ont de quoi faire frémir les vrais néo-démocrates, auront plutôt pour effet de rassurer les clientèles que le NPD veut séduire, en montrant que ce parti a vraiment changé et que son chef est plus un réaliste qu'un idéologue.