En lisant le document du Parti libéral du Canada sur le premier engagement formel de Justin Trudeau, baisser les impôts des classes moyennes, l'image qui m'est venue spontanément à l'esprit était celle de Justin des Bois.

J'étais assez satisfait du titre que je donnerais à ma chronique jusqu'à ce que je découvre, en écoutant les nouvelles, qu'à peu près tout le monde avait eu la même idée. Cela a déclenché chez moi un court moment de doute existentiel sur la banalité de mes propres idées et de celles du petit monde du commentaire politique. D'où la variante de mon titre.

Mais à bien y penser, si tout le monde a eu la même image en tête, c'est que M. Trudeau et son équipe ont réussi à articuler un message fort et clair, compris de la même façon par tout le monde, capable de bien caractériser la marque libérale. À ce chapitre, ce coup d'envoi de la campagne électorale libérale est un succès.

Dans la lutte à trois qui se dessine aux élections générales de l'automne prochain, la position la plus inconfortable est certainement celle de Justin Trudeau, pris en sandwich entre des conservateurs toujours bien en selle sur sa droite et un NPD beaucoup plus menaçant qu'autrefois.

Les deux propositions fiscales de M. Trudeau aideront les libéraux à trouver leur place.

La première consiste à réduire le taux d'imposition de 22 % à 20,5 % de la véritable classe moyenne, les 44 701 $- 89 401 $. On trouvera les trois milliards nécessaires en augmentant de 29 % à 33 % le taux d'imposition des revenus supérieurs à 200 000 $. La seconde consiste à restructurer et bonifier l'aide aux familles avec enfants : des chèques mensuels non imposables de 533 $ pour les enfants de moins de 6 ans, et de 450 $ pour les 6 à 17 ans. Mais les montants baisseront à mesure que le revenu augmente. La formule sera plus généreuse que celle des conservateurs pour toutes les familles, sauf celles dont le revenu est supérieur à 150 000 $. La moitié du coût de l'opération (4 milliards) sera financée par l'élimination du fractionnement des revenus annoncé par les conservateurs.

Dans les deux cas, M. Trudeau, en surfant sur le débat des 1 %, s'inscrit dans une logique redistributive où il prend aux riches pour donner aux moins riches, ce qui le place très clairement sur le terrain du NPD. Il prend un risque en portant le taux d'imposition maximum au-delà du seuil de 50 % dans plusieurs provinces, quoique les conséquences seront moins grandes que quand une province s'aventure seule sur ce terrain.

Mais si les principes et les valeurs qui sous-tendent ces mesures s'apparentent à ceux du NPD, l'approche, elle, s'inspire de Stephen Harper, ce qui montre à quel point, en neuf ans de pouvoir, il a transformé le débat politique.

La préoccupation de M. Trudeau pour les classes moyennes est presque un calque des campagnes conservatrices visant les familles qui travaillent dur. La mise en scène organisée par M. Trudeau pour annoncer ses promesses, entouré de familles typiques, est exactement celle qu'avait choisie M. Harper en octobre.

Sur un terrain moins impressionniste, l'idée même d'aider les familles en baissant leurs impôts plutôt qu'en proposant des programmes, par exemple des garderies, s'inscrit davantage dans une tradition conservatrice que libérale. Le ciblage très précis des bénéficiaires des baisses d'impôt semble également reposer sur un calcul électoral qui rappelle les pratiques conservatrices.

Et surtout, les libéraux reprennent la stratégie qui a fait le succès des conservateurs, le « wedge politics », la politique de la division, où l'on ne recherche pas des consensus, mais plutôt des positions qui vont polariser le débat. Les mesures annoncées par Justin Trudeau ne sont pas seulement des cadeaux aux classes moyennes, elles permettront aussi de lancer une attaque frontale contre les politiques fiscales conservatrices qui favorisent trop les hauts revenus.