Personne n'aime l'idée que le Cirque du Soleil, perçu par tous comme un fleuron économico-culturel du Québec, soit vendu à des intérêts étrangers. Pour des raisons symboliques, mais aussi très concrètes: le risque qu'une telle transaction menace le siège social montréalais, ses 1600 emplois et son savoir-faire.

Le réflexe bien naturel consistera à tenter de trouver une façon d'empêcher la vente à des intérêts étrangers. C'est ce que proposent les partis d'opposition à Québec, qui enjoignent le gouvernement Couillard d'agir pour que le Cirque du Soleil reste québécois. Mais s'il est facile de vouloir faire quelque chose, il est beaucoup moins facile de savoir quoi faire.

Selon les fuites qui se sont multipliées, la transaction - pas encore officielle - verrait 60% des actions du Cirque passer dans les mains de TPG Capital (un fonds d'investissement privé texan, connu pour sa capacité à restructurer des entreprises et à les sauver), 20% à un groupe chinois, tandis que le propriétaire et cofondateur, Guy Laliberté, conserverait 10% des actions et que la Caisse de dépôt et placement prendrait un autre 10%.

Il faut comprendre qu'il s'agit d'un cas particulier. La plupart des mécanismes auxquels on songe pour empêcher le départ d'un siège social visent à protéger une entreprise québécoise contre des visées hostiles de l'extérieur. Dans le cas du Cirque, c'est le propriétaire qui choisit volontairement de se défaire de l'entreprise qu'il a cofondée, une situation paradoxale où le père du fleuron le laisse aller.

L'autre élément dont il faut tenir compte, c'est que le Cirque du Soleil n'a plus le vent dans les voiles. On ne sait pas jusqu'à quel point, car cette entreprise, non cotée en Bourse, n'a pas à divulguer ses résultats financiers. On sait toutefois que les revenus ont baissé et on peut facilement deviner que le Cirque est à la croisée des chemins. Sa stratégie, qui consiste à produire à grands frais, année après année, de nouveaux spectacles, a manifestement commencé à plafonner. Assez pour qu'il faille non seulement diversifier les activités, mais sans doute aussi repenser le modèle.

Sachant cela, comment réagir à ce projet de vente? La première option, empêcher la transaction au nom de l'intérêt national, si cela était possible, aurait des effets catastrophiques. En rendant le propriétaire otage de sa propre entreprise, on risquerait surtout de faire fondre sa valeur et de l'asphyxier. La seconde option, que privilégient péquistes et caquistes, consiste à trouver des acheteurs québécois pour que le contrôle reste québécois. Cette idée, peut-être attrayante, nous rappelle qu'il est plus facile d'être dans l'opposition qu'au pouvoir.

Théoriquement, on peut certainement trouver 1,5 milliard de capitaux au Québec pour conserver le contrôle du Cirque. Encore faut-il que ces acheteurs aient une stratégie pour relancer l'entreprise, qu'ils puissent exercer un leadership, et qu'ils aient l'assurance minimale que ce sauvetage serait un investissement et non pas un don de charité. C'est le genre d'exercice où l'acheteur, TPG Capital, dispose d'une expertise plus grande qu'un groupe québécois assemblé dans la précipitation.

Bref, les options sont limitées. Elles consistent davantage à préserver les activités montréalaises qu'à empêcher la transaction. Si le gouvernement doit intervenir, c'est à ce niveau. On peut certainement y parvenir, en comptant sur les 20% des actions que détiendront Guy Laliberté et la Caisse de dépôt, sur les conditions que M. Laliberté imposera aux acheteurs et sur l'intelligence de TPG Capital, qui tuerait la poule aux oeufs d'or en se privant du principal actif du cirque, sa créativité, qui repose sur la concentration de savoir et de talent à Montréal.

Mais si ces interventions peuvent permettre de sauver les meubles, elles ne garantissent pas qu'à long terme, le Cirque du Soleil restera ce qu'il est actuellement. Et ça, il faut l'accepter.