L'idée de moduler les tarifs de service garde, c'est-à-dire de demander davantage aux parents dont les revenus sont plus élevés, suscite de vives résistances, parce qu'on estime que ces parents plus fortunés sont déjà mis à contribution par la progressivité du régime fiscal.

La progressivité fait en sorte qu'ils paient déjà plus d'impôt que les autres parents pour financer les garderies. La modulation leur imposerait deux fois un fardeau plus important que ceux des autres parents. J'ai moi-même utilisé cet argument et déjà critiqué le principe de la modulation en affirmant que les mieux nantis seraient doublement pénalisés.

Mais en creusant davantage, j'ai réalisé que cet argument repose sur une confusion, où l'on ne distingue pas deux formes de relations bien différentes entre le citoyen et l'État, celle d'usager d'un service payant, et celle de contribuable.

Tout d'abord, il n'est pas tout à fait exact d'affirmer que les parents plus fortunés paient déjà davantage pour la place de leur enfant en CPE. D'abord, parce que les personnes plus riches paient plus d'impôt tout court, pas pour un programme particulier, pas pour les CPE, mais pour l'ensemble des missions de l'État. Ensuite, parce que la part de ces impôts des contribuables plus riches qui servira à financer les CPE n'est pas payée seulement par les parents, mais par l'ensemble des contribuables bien nantis, indépendamment de leur situation familiale.

Ça, c'était la philosophie. Maintenant, quand on regarde les chiffres de près, on découvre que l'affirmation voulant que les parents plus riches paient beaucoup plus pour les CPE à travers leurs impôts ne tient tout simplement pas la route.

Cela tient en partie au fait qu'on a souvent l'impression que les garderies sont financées par l'impôt sur le revenu. C'est faux. Les services de garde sont aussi financés par d'autres revenus de l'État - impôt sur les profits, TVQ, revenus des entreprises publiques. En gros, l'impôt sur le revenu ne représente que 40% du financement public des services de garde.

Et comme les dépenses liées aux services de garde, 2,2 milliards par année, représentent environ 2,3% des dépenses publiques, on peut déduire que 2,3% des recettes provenant de l'impôt sur le revenu contribuent à leur financement, soit approximativement 600 millions. Qui paie ces 600 millions? Si notre système fiscal n'était pas progressif, chacun des 6,3 millions de contribuables paierait 94$ pour ces services de garde. Mais bien des gens ne paient pas d'impôt et d'autres paient plus que la moyenne.

Regardons ce qui arrive aux plus fortunés, ceux qui seraient touchés par la modulation. Les tarifs, selon une information du Devoir, pourraient progressivement passer de 8$ à 12$ pour les revenus familiaux entre 75 000$ et 100 000$, de 12$ à 15$ entre 100 000$ et 150 000$, et de 15$ à 20$ entre 150 000$ et 200 000$.

Voici mes calculs. Ils sont imparfaits et approximatifs, mais ils donnent une bonne idée. Selon les statistiques fiscales de 2011, les 484 000 contribuables au revenu entre 70 000$ et 100 000$ payaient 20,2% de l'impôt sur le revenu, ce qui donnerait 121$ millions des 600$ millions destinés aux services de garde. Ça représente combien? 250$ chacun, soit 156$ de plus que s'il n'y avait pas de progressivité. L'effort additionnel exigé de ces contribuables équivaut donc à 0,62$ par jour.

Le même exercice pour les 306 000 personnes qui déclaraient des revenus supérieurs à 100 000$ montre que leur effort additionnel, 557$ par année, représente 2,23$ par jour.

Est-ce une surcharge telle qu'elle rend intolérable une modulation des tarifs? Évidemment pas.

Voilà un exemple des dérives d'un débat quand il repose sur des slogans et des symboles. Il y a d'autres dérives dans ce débat. J'y reviendrai vendredi.