Avez-vous remarqué que les projets de compressions de dépenses les moins acceptables, qui provoquent les réactions les plus vives, qui forcent le gouvernement Couillard à les désavouer, viennent de structures bureaucratiques dont l'existence est remise en question, les commissions scolaires et les agences régionales de santé? Ce n'est probablement pas un hasard.

Plusieurs commissions scolaires ont eu la brillante idée de faire des coupes dans l'aide aux devoirs qui, par définition, s'adresse aux populations les plus vulnérables, un projet que le ministre de l'Éducation Yves Bolduc a promptement rejeté.

L'Agence de la santé de Montréal, dans son plan de compressions, visait elle aussi des services destinés à des populations vulnérables : santé mentale, soins aux aînés. L'élimination mesquine d'une allocation quotidienne de 4,30$ aux personnes atteintes de déficience intellectuelle a frappé l'imagination. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a ordonné à l'agence de faire demi-tour.

Or, on sait que le projet de loi 10, présenté par le Dr Barrette, prévoit la disparition des agences de santé, que le ministre ne porte pas dans son coeur. On sait aussi que les rapports entre les commissions scolaires et Québec n'ont fait que se détériorer, avec le gouvernement Marois et ensuite avec le gouvernement Couillard, qui veut réduire leur rôle et qui s'interroge maintenant sur leur pertinence.

Il est difficile de ne pas voir un lien de cause à effet entre la précarité de ces organismes et leur interprétation de l'austérité qui met le gouvernement dans l'embarras. Une espèce de chant du cygne de structures moribondes.

Il est vrai que la pression est très forte sur ces organismes. Il est peut-être possible, à plus long terme, de faire les choses autrement et de réussir à faire plus avec moins. Mais les réductions de dépenses actuelles se font dans un climat d'urgence, dans un processus vertical, de haut en bas, où le Conseil du trésor et les ministères passent des commandes. Et maintenant, on découvre comment ces organismes, au bas de la chaîne, sur le plancher des vaches, répondent à la commande.

Il semble assez évident que ces organismes, en réaction à ces ordres venus d'en haut, ont manifesté une forme de résistance passive qui, en substance, consiste à dire: «Vous voulez des coupes? Et bien, les v'la!».

Qui donnera l'heure juste?

La stratégie, classique, consiste à choisir des cibles de compressions indigestes, qui mettront le gouvernement dans l'embarras, ce qui le forcera peut-être à reculer. Ou encore de sabrer dans un domaine que le gouvernement définit comme prioritaire, comme des commissions scolaires l'ont fait pour la lutte contre l'intimidation. Cette résistance passive se double peut-être d'une pointe de vengeance de bureaucrates dont l'emploi et la fonction sont menacés.

Ce qu'on ne sait pas, c'est jusqu'à quel point il est encore possible de réduire les dépenses seulement en éliminant le gaspillage et en misant sur l'efficience, comme l'exige le gouvernement qui enjoint le monde de la santé et de l'éducation de ne pas toucher aux services. Cela relève de la pensée magique. Il arrive un stade où les compressions ne peuvent pas se faire sans choix et sans sacrifices.

Sommes-nous rendus là? C'est ce qu'affirment les commissions scolaires. Mais il n'est pas du tout évident que les commissions scolaires ou les agences de santé peuvent donner l'heure juste, parce qu'elles font aussi partie du problème. Les administrations publiques ont des réflexes de survie, des pulsions d'autoperpétuation qui les mènent, dans bien des cas, à privilégier des sacrifices qui affecteront la prestation de services plutôt que les fonctions administratives.

Le gouvernement Couillard a d'ailleurs estimé que la disparition des agences de santé était justement une façon de couper sans toucher aux services. Avec ces incidents des dernières semaines, ce sera sans doute bientôt le tour des commissions scolaires.