Le débat sur les frais de scolarité fait un «come-back» à la faveur de la publication d'un ouvrage collectif sous la direction de Gabriel Nadeau-Dubois, l'ex-leader de la CLASSE, dont les auteurs plaident pour la gratuité scolaire.

Le débat s'est toutefois déplacé. Il ne s'agit pas d'un réveil du mouvement étudiant, mais plutôt d'une bataille menée par des courants de gauche pour qui la gratuité scolaire est un symbole. Ce qui me frappe, c'est que cette gauche exprime moins une soif de progrès social qu'une grande nostalgie à l'égard d'un temps meilleur.

Cet élan de nostalgie est très clair dans le texte de M. Nadeau-Dubois, dont La Presse publiait des extraits la semaine dernière. Son argument central est que la hausse des frais de scolarité du gouvernement Charest représentait une «inversion totale du principe fondateur du rapport Parent». En 1966, les auteurs du rapport Parent voyaient en effet le gel des frais de scolarité comme une façon de se rapprocher d'une gratuité qu'ils estimaient souhaitable.

Quel étrange argument d'autorité. La hausse des frais de scolarité serait condamnable parce que monseigneur Parent n'aurait pas été d'accord? Le rapport Parent a contribué à la construction du Québec moderne. Mais est-ce que cela donne à son auteur un monopole permanent sur la vérité ? Il est possible que Mgr Parent n'ait pas eu raison à l'époque sur la gratuité, ou encore que ses idées soient décalées 48 ans plus tard.

Cette nostalgie, elle s'exprime aussi dans la façon dont la bataille pour la gratuité évacue la question des contraintes financières, comme à l'époque où, collectivement, nous disions «Au diable la dépense!».

Un professeur de l'UQAM, Pierre Doray, a publié récemment, avec trois collègues, une étude qui mesure l'impact d'une hausse des frais de scolarité sur la fréquentation universitaire. Elle montre entre autres qu'une augmentation de 1000 $ réduirait de 19 % la fréquentation universitaire des jeunes dont les parents n'ont pas étudié plus longtemps qu'au secondaire. Cette étude a été accueillie avec enthousiasme par les anciens «carrés rouges» et leurs supporteurs.

Mais en fait, cette étude confirme un phénomène connu, à savoir qu'un des principaux freins à l'accès à l'université n'est pas strictement économique, mais culturel, la faible valorisation de l'université dans les milieux où les parents n'ont pas fréquenté ces institutions, et leur tendance à surévaluer le coût des études et à sous-évaluer ses bienfaits. Cela explique la très grande sensibilité à une hausse des droits de scolarité dans ces milieux.

Est-ce que cela justifie la gratuité? Ce n'est pas ce que prônent les auteurs des l'étude qui concluent que «dans une perspective de justice sociale, toute augmentation des frais de scolarité devrait être accompagnée de mesures visant à mitiger les impacts négatifs de cette augmentation sur la participation universitaire des jeunes d'origine sociale modeste». Ce avec quoi je suis parfaitement d'accord.

Si les bourses assurent la gratuité au quart des étudiants universitaires, les moins bien nantis, et s'attaquent ainsi aux barrières économiques, il faut d'autres outils pour s'attaquer aux barrières sociales et culturelles : dans l'accompagnement des jeunes et de leurs familles et avec des mesures ciblées pour les étudiants de première génération. On quitte le terrain des slogans pour entrer sur celui des solutions. Ce sera plus efficace, cela exigera moins de fonds, et surtout, cela évitera une mesure comme la gratuité dont les principaux bénéficiaires seraient des familles qui n'en ont pas besoin.

Cette culture du mur-à-mur coûteux et de l'indifférence à l'égard de choses comme les coûts et les ressources a contribué à créer la crise financière actuelle, et elle contribuera certainement, hélas, à rendre les solutions plus difficiles à mettre en oeuvre.