À peu près tous les pays civilisés tentent, à des degrés divers, de concilier la logique de la croissance économique et les exigences de l'environnement. C'est ce qu'on appelle le développement durable. Sauf le Canada de Stephen Harper, qui a choisi une autre voie, et qui a même inventé une nouvelle doctrine: le développement dur.

Cette doctrine, le premier ministre l'a admirablement résumée lundi: «Peu importe ce qu'ils disent, aucun pays ne posera des gestes pour détruire délibérément les emplois et la croissance de leur pays. Nous sommes seulement un peu plus francs sur la question.»

Franchise ou simplisme? M. Harper applique à la question de l'énergie et de l'environnement une rhétorique manichéenne qu'il a déjà utilisée plusieurs fois. Si vous êtes contre notre projet de loi de contrôle de l'internet, c'est que vous êtes du côté des pédophiles. Si vous êtes contre notre politique de développement énergétique, vous êtes donc contre les emplois. Et vlan!

Toujours lundi, Joe Oliver, le nouveau ministre des Finances, lors de la Conférence de Montréal, tapait sur le même clou: «Le choix est clair. Choisissez le chemin du déclin économique, du chômage, des fonds limités pour des programmes comme les soins de santé, des déficits à répétition et d'une dette croissante, ou travaillez à la prospérité et la sécurité pour maintenant et pour les générations futures grâce à un développement responsable de nos ressources.» Et revlan!

Une logique en noir et blanc, où l'on parle de changement climatique du bout des lèvres, mais où l'on prétend qu'il y a un choix clair, pour ou contre la croissance, pour ou contre l'emploi. Quand, en fait, l'essence même du développement durable, c'est de trouver un équilibre entre les deux objectifs, de doser la croissance, de l'assortir de garde-fous pour qu'on puisse s'occuper des deux à la fois.

Paradoxalement, cette logique du développement dur n'aide pas l'économie. La stratégie du gouvernement Harper s'est révélée jusqu'ici nuisible pour le Canada. En isolant le Canada au plan environnemental, en noircissant inutilement son image, en se faisant des ennemis, le gouvernement Harper a peut-être davantage contribué à compromettre le développement énergétique du Canada que le mouvement environnementaliste. On le voit dans les tensions avec l'administration Obama, incapable d'approuver le projet du pipeline Keystone en raison de l'insensibilité environnementale d'Ottawa.

Et pourtant, il y a une voie du milieu entre le développement sans entraves dont rêve M. Harper et le refus global des groupes écologistes qui s'opposent à toute forme de développement des hydrocarbures: contre les gazoducs, contre le gaz de schiste, contre l'exploration du pétrole dans le golfe.

Il est vrai que l'extraction du pétrole issu des sables bitumineux a un impact environnemental plus marqué que celle du pétrole conventionnel, quoique moins qu'on le croit. Mais c'est une source importante de pétrole, encore nécessaire pour des décennies, qui réduit la dépendance du continent au pétrole importé, qui est un facteur important de croissance - 2% du PIB canadien en 10 ans selon le Fonds monétaire international -, et qui comporte d'autres avantages économiques, y compris pour le Québec, en améliorant la balance des paiements et en gonflant les revenus de l'État.

Mais pour que ce pétrole puisse contribuer à notre mieux-être, il faut le désenclaver, trouver des façons de le faire sortir des Prairies. Et pour pouvoir le désenclaver, il faut répondre aux inquiétudes que suscitent les sables bitumineux, en tempérant le rythme de leur développement, en investissant davantage pour réduire leurs effets négatifs, et en intégrant tous leurs coûts, comme le suggérait lundi la directrice générale du FMI, Christine Lagarde. Mais on est loin du compte. Lundi, M. Harper parlait encore de «taxe carbone tue-emplois».