Certaines voix, dont celle de Gérard Bouchard, le coprésident de la commission sur les accommodements religieux, se sont levées pour réclamer la démission de l'ancien ministre Bernard Drainville, en raison des effets très négatifs que le projet de Charte des valeurs a eus sur la société québécoise, en réveillant et en cautionnant des réflexes d'intolérance.

Je ne crois pas qu'une telle démission apporterait grand-chose. D'abord parce que le grand responsable de cette dérive n'est pas l'exécuteur des basses oeuvres qu'était M. Drainville, mais Pauline Marois, celle qui, avec une absence troublante de principes et de jugement, a choisi de lancer cette bataille et d'en confier la direction à un politicien populiste. Mme Marois a déjà été punie.

Ensuite, si on peut parfois réclamer la démission d'un ministre, c'est plus difficile dans le cas d'un simple député, dont le mandat est essentiellement de représenter des électeurs qui l'ont élu en toute connaissance de cause.

Enfin, je crois que Bernard Drainville a encore un rôle à jouer dans la vie politique québécoise. Pas celui de diriger le PQ, comme il en rêve sans doute. Après l'épisode de la Charte et le glissement idéologique que cela a représenté, il serait étonnant que le parti se range derrière lui. D'autant plus que son style politique, celui du populisme primaire, représenterait une sorte de déchéance pour un parti dont les dirigeants se sont distingués par leurs aptitudes intellectuelles: René Lévesque, Pierre Marc Johnson, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Bernard Landry.

Mais la bataille de Bernard Drainville et les appuis qu'elle a obtenus nous a révélé une facette de notre réalité politique: l'existence d'un courant nationaliste de droite, attaché aux valeurs traditionnelles, méfiant de l'immigration et ethnocentriste, surtout en milieu non urbain. Et si le PQ, dans la longue réflexion existentielle qu'il amorce, refuse de rester sur ce terrain après sa débâcle électorale, M. Drainville pourrait penser à une nouvelle formation politique.

Évidemment, je plaisante, mais il n'en reste pas moins qu'il y a là un marché que M. Drainville serait bien placé pour exploiter, avec son style, un populisme proche de celui du courant Harper, qui consiste à «parler aux gens» et à refléter sans filtre leurs désirs, avec ses valeurs, à plusieurs égards similaires à celles des courants politiques de droite de France et du nord de l'Europe. En France, c'est Marine Le Pen qui parle de laïcité. Et les discours de Janette Bertrand, chaudement applaudis par M. Drainville, n'auraient été tolérés que par un seul parti français, et ce n'est ni le PS ni l'UMP.

L'incident des avis juridiques ne changera pas grand-chose à l'image de Bernard Drainville. C'est surtout un débat sémantique assez partisan, qui joue sur la confusion entre des avis ponctuels et un avis juridique formel. Ça ne change rien au fond, parce qu'on sait que M. Drainville ne s'est jamais intéressé aux avis et aux études et qu'il préfère se fier, comme Stephen Harper, à ce que les gens lui disent, surtout ceux qu'il a choisis. Hier, dans les multiples entrevues qu'il a accordées pour se disculper, il a d'ailleurs repris les préjugés les plus niaiseux sur les avocats qui ne s'entendent jamais, comme si la conversation de taverne pouvait remplacer la réflexion.

Mais on n'oubliera pas le tort immense que cette Charte a causé - la division, les discours intolérants, la coupure entre la population de souche et les nouveaux venus, la peur de l'immigration qu'elle a nourrie, l'image du Québec. Ça prendra des années à faire disparaître ces cicatrices. Surtout qu'il ne faut pas écarter la possibilité que l'opposition péquiste, à la dérive, persiste à mener cette bataille.