Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a profité d'un des derniers jours de la campagne pour parler de dette. Encore une fois, il aborde un enjeu majeur. C'est tout à son honneur. Mais il n'était pas obligé de le faire sur le mode simpliste qu'il a adopté depuis le deuxième débat des chefs.

Si sa préoccupation pour la dette est sincère, il y avait, dans son intervention, un calcul politique évident, celui de mettre ses adversaires dos à dos. «C'est l'alternance de ces deux vieux partis qui fait que nous sommes, au Québec, parmi les plus endettés en Amérique du Nord», a-t-il lancé, oubliant commodément qu'il a activement participé au processus.

Ce thème, il l'avait déjà abordé au deuxième débat: «Les deux partis qui sont là, avait-il dit, durant les neuf années libérales, ils ont augmenté la dette de 60 milliards. C'est 7 milliards par année. Mme Marois, depuis un an, elle l'a augmenté de 8 milliards. C'est encore pire!»

M. Legault ne peut pas faire abstraction d'une donnée économique fondamentale: le Québec, comme les autres sociétés, a traversé la pire crise des 80 dernières années. L'explosion récente de la dette qu'il dénonce s'explique essentiellement par cela. Si M. Legault avait été au pouvoir, aurait-il agi autrement? J'en doute fort.

La dette québécoise brute au cours des 9 ans du règne libéral (2003-2012) a augmenté de 57,9 milliards, passant de 133,2 à 191,8 milliards, soit une hausse de 43,9%. Mais avant la crise, pendant cinq ans, de 2003 à 2008, la hausse de la dette, une moyenne de 3,9 milliards par année, était assez modeste pour que le poids de la dette brute baisse en passant de 51,3% à 48,6% du PIB.

En 2009, il est arrivé deux choses. Le lancement d'un vaste plan d'infrastructures pour mettre à jour des équipements qui nous tombaient dessus, et l'éclatement de la crise. Les travaux d'immobilisation ont ajouté autour de 5 milliards par année à la dette, tandis que les déficits budgétaires provoqués par la crise ajoutaient un autre 3 milliards, pour un endettement annuel moyen de 8,5 milliards dans la période de 2009 à 2012.

C'est un hasard que les deux phénomènes soient survenus en même temps. Il a été providentiel. Il a permis au Québec de mieux résister à la récession et à sortir plus rapidement de la crise que ses voisins.

Aurait-on dû ralentir les travaux d'infrastructure pour éviter l'endettement? Certainement pas. Ces investissements comblaient un retard criant. Ils ont servi, ici comme partout ailleurs dans le monde, à relancer l'économie. Et n'oublions pas qu'il est normal de recourir à l'endettement pour financer des ouvrages qui seront utilisés pendant des décennies. «Cette dette s'en va directement sur la carte de crédit de nos enfants», a lancé le chef caquiste. C'est faux. C'est plutôt l'équivalent d'une hypothèque.

Aurait-on dû empêcher l'explosion du déficit? Cela aurait été une catastrophe qui aurait plongé le Québec plus profondément dans la récession. Même le gouvernement conservateur à Ottawa a écarté cette hypothèse. En outre, le gouvernement libéral s'était doté d'un plan audacieux de retour à l'équilibre en 2014 - plus rapidement qu'Ottawa - que le gouvernement Marois a hélas abandonné.

L'effet cumulatif de ces deux formes d'endettement est très préoccupant, notamment parce qu'il augmente les frais d'intérêt qui grugent le budget chaque année. Il faut réduire la dette. M. Legault a raison d'en faire une priorité. Mais il ne peut pas reprocher aux libéraux le fait qu'elle ait explosé depuis 2009. Il aurait fait la même chose.