Depuis que le gouvernement Marois a déposé son projet de charte des valeurs, on savait que celui-ci comportait une faiblesse, et c'est la difficulté de concilier une conception assez rigide de la laïcité avec les hésitations à retirer carrément le crucifix de l'Assemblée nationale.

L'aveu du ministre responsable du dossier, Bernard Drainville, que le crucifix faisait encore l'objet de discussion au gouvernement et l'idée de laisser cette décision aux députés de l'Assemblée nationale constituait le talon d'Achille du projet de charte.

Peut-on, à la fois, défendre le principe de la laïcité de l'État avec tant de vigueur qu'on est prêt à congédier une éducatrice de garderie qui voudrait porter des signes extérieurs de son engagement religieux et accepter que les députés de la «chambre de la race» discutent de l'avenir de la nation sous le regard bienveillant d'un Christ cloué sur sa croix?

Philippe Couillard a donc fait un calcul sans doute habile en affirmant cette semaine que les libéraux, eux, laisseraient le crucifix sur le mur de l'Assemblée nationale. Une façon de tourner le fer dans la plaie, d'insister sur une contradiction du discours péquiste, tout en envoyant un message qui pourrait peut-être séduire l'électorat francophone, encore attaché au catholicisme, surtout en région.

Mais il est clair qu'un tel calcul relève de la petite politique. Cela montre, encore une fois, à quel point il a été désastreux qu'une question aussi délicate que les rapports de la société avec certaines de ses minorités ait été transformée en enjeu partisan.

La manoeuvre libérale met aussi en relief l'aspect malsain de ce débat, dont le but premier est d'interdire en certains lieux le voile islamique, où l'on a tenté de séduire autour d'un même projet deux clientèles aux objectifs mutuellement incompatibles, ceux qui veulent affirmer la laïcité de l'État, et l'égalité hommes-femmes et ceux qui cherchent plutôt à protéger leur identité catholique.

Techniquement, toutefois, la position libérale, même si elle est opportuniste, a au moins le mérite de la cohérence. Comme les libéraux ne militent pas pour une laïcité mur-à-mur, et qu'ils ne veulent pas empêcher les employés de l'État, dans la plupart des cas, d'afficher des symboles de leur appartenance religieuse, il n'y a rien d'illogique à ce qu'ils permettent à une majorité catholique d'afficher elle aussi, ses propres symboles.

Il se dégage un consensus assez fort autour du fait que, même laïque, le Québec doit conserver les témoins de son passé religieux. Le catholicisme a très fortement imprégné l'histoire du Québec, façonné sa géographie - par la toponymie -, son aménagement - les paroisses, la croix du mont Royal, les clochers des églises -, sa langue - ne serait-ce que par les jurons -, les jours fériés et les rituels collectifs - de Noël à la Saint-Jean.

Ce passé n'a pas seulement légué un patrimoine, il a aussi contribué, avec les traditions protestante, orthodoxe et juive, à définir nos références communes et nos valeurs. Cela fait partie du bagage que propose la société d'accueil et dont les nouveaux venus doivent tenir compte dans leur processus d'intégration. L'asepsie culturelle n'est pas une solution.

Est-ce que ça justifie le maintien du crucifix sur le mur de l'Assemblée nationale? Non. Pas au nom de la laïcité, au nom de la modernité. La tradition catholique elle-même a changé: on ne «mange plus maigre» le vendredi, on ne récite plus le chapelet à CKAC.

On ne devrait pas davantage maintenir un objet qui incarne moins notre patrimoine religieux que les derniers sursauts de bondieuserie de la période sombre du duplessisme. Quand il serait si simple de le sortir de l'enceinte de l'Assemblée nationale pour lui trouver une place sur un mur de l'Hôtel du parlement.