Quand Jacques Duchesneau a été congédié vendredi, et qu'il a perdu son poste de patron de l'Unité anticollusion, cinq mois avant la fin de son mandat, bien des gens ont vu cela comme une autre tactique du gouvernement libéral pour étouffer la vérité dans le dossier de la construction.

Ce réflexe est bien compréhensible. La façon dont le gouvernement Charest s'est comporté face au scandale de la corruption dans la construction a eu de quoi nourrir les soupçons, encore plus depuis deux semaines avec la tragicomédie qui a mené à la création de la commission Charbonneau.

Mais dans le cas précis de ce congédiement, il n'y a pas de sombres manoeuvres. Dans une entrevue-choc à La Presse, Jacques Duchesneau avait critiqué l'Unité permanente anticorruption, l'organisme dont relève son Unité anticollusion: «L'UPAC, c'est pas fort, ils pensent police.» Il a également critiqué celui qui est son patron: «Et ce n'est pas un policier qui devrait être à la tête de l'UPAC, mais plutôt un juge à la retraite, comme John Gomery.»

C'est pour ces propos que le patron de l'UPAC, Robert Lafrenière - et non pas le gouvernement Charest - l'a congédié. C'était inévitable. Aucune institution, publique ou privée, ne peut tolérer cet élémentaire manque de loyauté. Mais il faut se demander pourquoi M. Duchesneau s'est laissé aller à ces propos déplacés. Son cas n'est pas unique. Il s'inscrit dans un «pattern» que l'on a déjà pu observer, et que j'appellerais le syndrome du justicier.

Nous vivons dans une période de découragement collectif, de perte de crédibilité de nos institutions et de nos dirigeants. Dans ce vacuum, à qui faire confiance? Les citoyens ont eu tendance à se rabattre sur un des rares pôles de solidité, sur ceux qui jouent un rôle de chien de garde de nos institutions, qui ne sont pas des politiciens, qui sont indépendants du pouvoir politique. C'est le cas de M. Duchesneau, un ancien policier reconnu pour sa probité, ou encore des vérificateurs généraux de nos différents ordres de gouvernement.

L'engouement pour ces Eliott Ness des temps modernes peut cependant mener à des dérives. Notamment parce que cela affecte le comportement de ces nouveaux héros qui, en raison de leur crédibilité, de l'absence de contrepoids, deviennent intouchables et peuvent oublier leur devoir de réserve - c'est le syndrome du justicier.

Les exemples sont nombreux. Le juge Gomery, qui s'est laissé aller à des remarques si inappropriées sur Jean Chrétien que les tribunaux l'ont forcé à biffer des pans entiers de ses conclusions en raison de son manque d'objectivité. Le vérificateur de Montréal qui, dans son conflit avec la ville, s'est comporté comme un véritable coq. Ou encore certaines prises de position du vérificateur général du Québec, notamment sur les PPP, que personne n'osait critiquer parce que ce que dit le vérificateur devient parole d'Évangile.

C'est un peu ce qui est arrivé à Jacques Duchesneau. Son manque de jugement en allant parler de son rapport à Tout le monde en parle avant de se présenter en commission parlementaire. Ses suggestions sur une formule de commission d'enquête qui sont devenues un oracle, même si leur caractère flou et changeant montrait qu'il n'était pas une autorité en la matière. Ses très étranges allusions à l'intimidation médiatique dont il aurait été victime. Et pour finir, dans une manifeste logique d'escalade, sa sortie contre l'unité dont il est membre.

Cela nous rappelle que les chiens de garde ont, eux aussi, besoin de chiens de garde. Ils doivent faire l'objet d'un recul critique. Parce qu'ils ne sont pas omniscients, que leurs rapports, aussi essentiels soient-ils, ne sont pas des versets de l'Évangile.