La poignée de pelés et de tondus qui ont manifesté à Québec contre la monarchie ne faisaient pas le poids contre les 300 000 personnes qui ont applaudi Kate et William à Ottawa le 1er juillet ou les dizaines de milliers de personnes qui sont allés les voir hier à Québec et à Lévis.

Le succès de cette visite, même au Québec, ne reflète pas nécessairement une adhésion à la monarchie, mais aussi l'attrait qu'exercent ces personnages de conte de fées. Un sondage Angus Reid commandé par La Presse montrait d'ailleurs la semaine dernière que 58% des Québécois souhaitaient une rupture avec le lien monarchique. Les militants souverainistes purs et durs qui dénonçaient la monarchie reflétaient donc le point de vue d'une bonne majorité de Québécois. Là où ils sont marginaux, c'est dans leur colère, dans leur rage contre une institution qu'ils voient comme un symbole d'oppression. Pour la plupart des gens, la monarchie est plutôt un symbole de l'inertie, et elle suscite surtout de l'indifférence.

En soi, le fait que la fonction du chef d'État soit héréditaire est un anachronisme difficilement compatible avec les grands principes de la démocratie. Dans le cas du Canada, la chose est encore plus incongrue, parce que le chef de l'État est celui d'un pays étranger.

Mais on ne sent pas une forte volonté d'en finir avec cet héritage du passé. Le débat sur l'avenir de cette institution provoqué par cette visite princière n'a pas été très animé. Peut-être parce que les gens sentent confusément que ce serait si compliqué de se débarrasser de la monarchie qu'on est aussi bien de faire avec. Les obstacles seraient considérables, et ils sont de nature politique, institutionnelle et constitutionnelle.

D'abord, aucun politicien ne voudra se lancer dans cette bataille. Parce que les Canadiens sont trop divisés: 40% d'entre eux voudraient que l'on abolisse les institutions canadiennes héritées de la monarchie, comme le gouverneur général; mais 48% voudraient les conserver. On découvrirait sans doute, si le débat avait réellement lieu, que l'attachement aux traditions britanniques est plus profond qu'on le croit, y compris au Québec, où l'on tient au parlementarisme de type britannique et au système de droit du common law.

Ensuite, au plan institutionnel, l'élimination de la monarchie ne serait pas simple. Le chef d'État symbolique qu'est la reine, et son représentant, le gouverneur général, ont une fonction précise, celle de faire contrepoids et d'être une soupape de sécurité face à un premier ministre qui détient d'importants pouvoirs. Si on élimine le poste, il faudra le remplacer. Voudra-t-on changer le système et se doter d'un véritable président? Créer un sénat puissant, comme aux États-Unis? Voudra-t-on conserver un président sans pouvoirs, et si oui, comment le désigner? Le nommer? L'élire? Ce sont des débats dans lesquels les Australiens se sont empêtrés, lors d'un référendum où l'abolition de la monarchie a été rejetée.

Enfin, ne l'oublions pas, si l'on optait pour l'abolition de la monarchie, cela exigerait des amendements constitutionnels significatifs, des processus de consultation, l'accord des provinces et tout le tralala. Ce serait un véritable champ de mines. Qui veut s'embarquer là-dedans?

Tant qu'à être pris avec, il faut noter que l'institution monarchique est moins rigide qu'on veut bien le croire. La présence au Canada du duc et de la duchesse de Cambridge en est un bel exemple. Non seulement leur visite contribue-t-elle à rajeunir l'image de la famille royale, elle semble aussi s'inscrire dans une stratégie pour contourner le prince Charles, l'héritier de la reine Élisabeth que les gens ne veulent pas comme roi. La monarchie peut donc s'adapter aux contextes sociaux et tenir compte de la volonté populaire.