Décidément, les vérificateurs généraux font les manchettes. Hier, le vérificateur de Montréal contredisait le maire Gérald Tremblay dans le dossier du contrat de la ville avec TELUS. Hier encore, celui du Québec démolissait les calculs qui montraient que les PPP seraient avantageux dans la construction des hôpitaux universitaires. La semaine dernière, c'était la vérificatrice du gouvernement fédéral qui croisait le fer avec les parlementaires parce qu'elle voulait examiner les chiffres de la Chambre des communes.

Décidément, les vérificateurs généraux font les manchettes. Hier, le vérificateur de Montréal contredisait le maire Gérald Tremblay dans le dossier du contrat de la ville avec TELUS. Hier encore, celui du Québec démolissait les calculs qui montraient que les PPP seraient avantageux dans la construction des hôpitaux universitaires. La semaine dernière, c'était la vérificatrice du gouvernement fédéral qui croisait le fer avec les parlementaires parce qu'elle voulait examiner les chiffres de la Chambre des communes.

Le poids croissant des vérificateurs généraux dans le débat public est le reflet d'un phénomène de société. La population est plus sensible à la mauvaise utilisation des fonds publics et compte de plus en plus sur la présence d'un chien de garde. Mais surtout, l'énorme perte de confiance envers les politiciens renforce la crédibilité d'une institution indépendante du pouvoir, qui relève du parlement plutôt que du gouvernement.

Mais on risque d'exagérer dans l'autre sens. Avec leur indépendance et leur rigueur méthodologique, les vérificateurs généraux jouent un rôle essentiel, pour déceler des erreurs et des irrégularités, pour évaluer l'efficacité des politiques publiques, pour recommander des procédures et des pratiques comptables, pour améliorer la reddition de comptes.

Toutefois, ce ne sont pas les détenteurs d'une vérité unique et absolue. Ce ne sont ni des gourous, ni des oracles. Ce sont des comptables, avec une logique de comptables. Leur approche est certes utile, mais elle n'est qu'un élément parmi d'autres dans un processus de décision.

Les entreprises du secteur privé, par exemple, ont besoin de contrôleurs et de vérificateurs pour assurer leur santé et leur stabilité financières. Mais en général, ce ne sont pas eux qui dirigent. Essentiellement parce que le succès et la croissance reposent sur la prise de risques, ce qui exige de l'instinct, la capacité de sortir des sentiers battus, et parfois d'envoyer promener les normes.

C'est la même chose dans le secteur public où les décisions sont la résultante d'arbitrages entre une foule de considérations, et pas seulement le respect des procédures. Déjà, l'État souffre de sa lourdeur bureaucratique. Si on suivait, en tout temps, toutes les normes et toutes les procédures, si on en ajoutait d'autres pour encore mieux contrôler la machine gouvernementale, l'État deviendrait un monstre ingérable.

Il ne faut pas non plus oublier que la crédibilité des vérificateurs s'explique largement parce qu'ils arrivent après le fait. Ce sont en quelque sorte des gérants d'estrade de luxe, des coachs du lundi matin. On entend surtout parler d'eux quand les choses ne se sont pas bien passées, ce pour quoi ils disposent de l'avantage du recul.

Ces limites, on les voit dans l'intervention du vérificateur général du Québec dans sa vigie sur les hôpitaux montréalais. Il est très convaincant lorsqu'il s'agit de démontrer que les projections utilisées pour affirmer que le mode PPP était moins coûteux que le mode traditionnel ne tiennent pas la route. Mais son analyse, aussi fine soit-elle, ne suffit pas pour nous aider à comprendre comment un projet de 3,6 milliards en 2006 a pu passer à 5,2 milliards en 2009, et sans doute encore plus dans les années à venir.

Ce poids accru des vérificateurs généraux dans le débat public, même s'il est bienvenu, peut avoir des effets pervers. Je crois déceler, ici et à Ottawa, une transformation du ton des vérificateurs généraux, un certain militantisme, une pointe d'arrogance, qui les éloigne progressivement de leur devoir de réserve.

La démocratie repose sur des jeux d'équilibre et de contrepoids. Mais parce que les vérificateurs sont au-dessus de la mêlée, qu'ils sont indépendants du pouvoir exécutif, qu'en fait ils ne répondent à personne, et que personne n'ose les contredire ou les affronter, ces mécanismes de contrepoids n'existent pas.