Nouveau coup de théâtre dans le psychodrame qui déchire le Brésil depuis quelques mois. Le président intérimaire de la Chambre des députés, Waldir Maranhão, a réclamé hier l'annulation du vote du 17 avril par lequel une vaste majorité de parlementaires appelaient à la destitution de la présidente Dilma Rousseff.

Cette décision plonge le pays dans le brouillard. Le Parlement tiendra-t-il un nouveau vote ? Si oui, quand ? Et en attendant, qu'arrive-t-il du vote des sénateurs, qui devaient se prononcer demain sur la procédure de destitution ? Normalement, le Sénat devrait suspendre son vote en attendant que les parlementaires se prononcent à nouveau. Pourtant, son président, Renan Calheiros, a déjà annoncé qu'il irait de l'avant...

« C'est la confusion totale », résume Julián Durazo, spécialiste du Brésil et professeur de politique comparée à l'UQAM.

Si les experts y perdent leur portugais, imaginez le commun des mortels. En fait, le tableau brésilien se brouille quand on essaie de décoder à la loupe tous les rebondissements de la crise en cours. Mais il se clarifie quand on prend un peu de recul et que l'on comprend qu'avant d'être une histoire de corruption, la pièce qui se joue devant nous constitue, d'abord et surtout, un affrontement politique.

La corruption est endémique au Brésil et pratiquement aucun acteur politique ne peut prétendre avoir les mains propres. Ainsi, près de 60 % des députés brésiliens font face, ou ont fait face, à la justice pour des affaires de corruption !

Michel Temer, vice-président qui a laissé tomber Dilma Rousseff, et qui est susceptible de prendre sa succession si elle est démise de ses fonctions, a été reconnu coupable dans une affaire de financement électoral. L'ex-président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, récemment destitué, est inculpé pour corruption et blanchiment d'argent. Or, c'est justement lui qui a orchestré la procédure de destitution de la présidente pour une affaire de maquillage des comptes publics.

Ce n'est pas fini. Le président du Sénat, Renan Calheiros, soupçonné d'avoir reçu des pots-de-vin, est également sous le coup d'accusations d'évasion fiscale. Tandis que 36 des 65 membres de la commission spéciale qui a recommandé de voter pour la destitution sont accusés ou ont déjà été condamnés pour corruption !

Car aucun grand parti ne peut diriger ce pays sans conclure de multiples alliances avec des microformations représentant autant d'intérêts disparates. Et ces partis monnaient leurs appuis : aussi simple que cela. Il y a une dizaine d'années, le président Lula s'était lui-même fait prendre dans une affaire d'allocations mensuelles versées à des députés afin de s'assurer de leur loyauté.

L'autre incitation à la corruption tient au coût des campagnes électorales dans ce pays immense, signale un autre spécialiste du Brésil, Philippe Faucher, chercheur à l'Université de Montréal. « C'est un système pervers qui crée des conditions très coûteuses et ne fournit pas les moyens de financement en conséquence. Les partis détournent les fonds publics pour financer les machines politiques. »

Dans cet univers où népotisme, pots-de-vin et petits cadeaux font partie des pratiques courantes, tout va bien tant qu'il y a de l'argent à partager.

Mais après des années de croissance, le Brésil s'est heurté à un mur. Quand l'effondrement des cours des matières premières a anémié les coffres de l'État, Dilma Rousseff n'avait plus de « gâteau à partager », note Julián Durazo. La crise économique qui a heurté de plein fouet le Brésil lui a aussi fait perdre ses appuis dans la population.

Le « modèle Lula » s'est en effet épuisé. Ses programmes sociaux avaient permis à des dizaines de millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté. Ils ont pu accéder au crédit, acheter des biens de consommation, accéder à la classe moyenne. Tous ces gens « ont vu le ciel s'ouvrir devant eux, et maintenant ils se cognent contre une porte fermée », dit Philippe Faucher.

L'inflation, le chômage, la hausse des taux d'intérêt, les services publics déficients, jumelés au style abrasif et peu charismatique de la présidente, lui ont fait fracasser des records d'impopularité.

Incapable de conclure des alliances ou de rallier la population, la présidente s'est retrouvée livrée en pâture à ses ennemis.

Pour Philippe Faucher, la procédure de destitution vise deux objectifs : déloger Dilma Rousseff ; et ouvrir la voie à un changement de régime, après 13 ans de pouvoir du Parti des travailleurs de l'ex-président Lula.

De là à parler d'un coup d'État, comme le dénonce avec emphase la présidente contestée, il y a un immense pas, que les observateurs les plus critiques hésitent à franchir.

« La procédure utilisée respecte la Constitution, il n'y a aucune rupture de l'ordre légal », souligne Julián Durazo.

En d'autres mots : dans un paysage politique où la corruption banalisée transcende les allégeances politiques, Dilma Rousseff a vu ses moyens de persuasion fondre et sa popularité décliner - ouvrant la porte à des règlements de comptes qui finiront, selon toute probabilité, par lui faire perdre le pouvoir.

La question qui se pose, maintenant, est celle des leçons que le Brésil tirera de cet affrontement empreint d'un cynisme digne de House of Cards. De plus en plus de voix appellent à une réforme politique susceptible de mettre un terme à cette culture de corruption. Avec un peu de chance, elles finiront par être entendues.