Je consacre 40% de mes revenus à rembourser mes dettes d'études. J'ai un bon boulot et je me démène pour fonder une famille. Je voudrais acheter une maison, mais je n'en ai pas les moyens. Je vis dans un appartement envahi par les moisissures. Ce n'est pas un endroit pour élever des enfants, alors ça devra attendre, ça aussi.

La complainte de cet ex-étudiant est tirée du site internet Occupy Student Debt - un des «bébés» du mouvement de protestation qui s'était étendu aux États-Unis, l'automne dernier. Le site sert en quelque sorte de mur des lamentations à de jeunes diplômés qui entrent dans la vie adulte avec un trop lourd fardeau sur les épaules.

Depuis octobre, cette initiative a permis de colliger des centaines de tragédies personnelles. Il y a ce diplômé qui avait dû faire garantir son emprunt par ses parents, lesquels ont hérité de sa dette... à sa mort. Ou cet autre, trop endetté pour se marier. Et tous ceux dont les taux d'intérêt explosent après un défaut de paiement. Et dont la dette ne cesse de grossir même s'ils tentent ensuite d'honorer leurs paiements mensuels.

«On nous a dit que nous pouvions nous permettre d'étudier, parce que nous aurions de bons emplois après nos études», dit Kyle McCarthy, porte-parole d'Occupy Student Debt. Avec l'augmentation des droits de scolarité, et l'économie vacillante, l'équation ne tient plus.

Ce groupe n'est pas le seul à appuyer sur la sonnette d'alarme. Les reportages sur la crise des dettes d'études se multiplient dans les journaux américains. Le plus récent: un dossier de deux pages dans le New York Times de dimanche dernier. De plus en plus d'experts parlent d'une nouvelle «bulle», qui pourrait exploser à tout moment.

Les chiffres qui suivent donnent une idée de l'ampleur du problème. En 2008, la dette moyenne d'un diplômé s'élevait à 23 000$. Cette année, c'est 26 000$. Dix pour cent d'entre eux doivent plus de 54 000$. Tandis que 3% traînent tel un boulet une dette supérieure à 100 000$.

Les subventions publiques aux universités n'ont cessé de diminuer depuis 25 ans. Les droits de scolarité, eux, grimpent en flèche. Depuis 1981, l'augmentation moyenne a été de 6,4% par an. Les revenus des familles, eux, n'ont augmenté que de 0,4%.

Résultat: 94% des étudiants doivent emprunter pour étudier. Ils n'étaient que 45% en 1993. Leur capacité d'emprunt n'est pas toujours suffisante. Le nombre de parents qui empruntent pour payer les études de leurs enfants a augmenté de 75% depuis 2005!

Avec l'économie chancelante, à peine un étudiant sur deux trouve un boulot à plein temps à la sortie de l'université.

Si bien que la proportion d'ex-étudiants en défaut de paiement grimpe en flèche. Ils sont 10% chez ceux qui ont entrepris de rembourser leurs dettes en 2009. Deux fois plus qu'en 2005.

Une particularité américaine: dans le cas de dettes contractées auprès de prêteurs privés, les faillites personnelles ne sont pas acceptées. Pas moyen de se libérer de la dette... «Ça crée des situations extrêmement stressantes et démoralisantes», dit Radhika Singh Miller, de l'organisation Social Justice Works.

Forcément, la période de remboursement s'allonge. Sur 37 millions de détenteurs de dettes d'études, 6,3 millions ont... plus de 50 ans. Finalement, dit Radhika Singh Miller, la lourdeur de la dette appréhendée, conjuguée aux perspectives d'emploi faméliques dues à la crise, incite de plus en plus de jeunes adultes à mettre une croix sur les études universitaires. Trop chères, pas assez rentables.

Parallèlement, les diplômés trop occupés à rembourser leur dette ne consomment pas beaucoup. La maison, l'auto, c'est pour plus tard. Certains retournent vivre chez leurs parents. On les appelle les «boomerangers». Ce ne sont pas eux qui vont relancer l'économie avec leurs folles dépenses...

La situation est suffisamment grave pour constituer un des grands enjeux de l'élection présidentielle de novembre prochain. Elle fait déjà jaser les élus américains, qui s'arrachent les cheveux pour que les taux d'intérêt sur les prêts étudiants, établis actuellement à 3% et des poussières, ne dépassent pas les 6% cet été.

Le système universitaire américain est à des milliers de kilomètres du Québec, où le taux d'endettement moyen est de 14 000$. Il y a néanmoins une leçon à tirer de l'expérience de nos voisins du Sud.

Et cette leçon, c'est essentiellement la suivante. La présomption voulant que les droits de scolarité soient un investissement rentable ne tient pas toujours la route. Tout dépend du coût, de la capacité d'assumer la facture, et des emplois que l'on trouve à l'autre bout...

Bref, la règle de l'investissement personnel rentable n'est pas absolue. À méditer, en ce temps de crise sociale, sur fond d'augmentation de la facture universitaire.