Silvia Holten est furieuse. Vraiment furieuse. Responsable des relations de presse de Vision mondiale en Allemagne, elle a été dépêchée à Toronto pour faire connaître les positions de son organisme sur les dossiers abordés aux sommets du G8 et du G20.

Sauf que son accréditation ne lui permet pas d'accéder au centre des médias qui accueille les quelque 3000 journalistes affectés à la couverture des sommets.

 

Comme tous les autres représentants d'ONG, elle est confinée à un «centre de médias alternatifs» et coupée de la grande salle où les journalistes suivent les événements sur des écrans géants.

Cela la prive du plaisir de contempler le fameux lac artificiel, bien calée dans une chaise Muskoka. Mais là n'est pas le problème. Le hic, c'est que, isolée dans un immeuble séparé de celui qui abrite le centre des médias, elle se demande comment faire son travail, qui consiste, essentiellement, à parler aux journalistes.

C'est la quatrième fois que Silvia Holten assiste à un sommet du G8. Jusqu'à maintenant, elle n'avait encore jamais vu une telle exclusion. «Jamais, jamais je ne me serais attendue à une telle attitude. Je ne suis pas venue ici pour rester isolée. Je me sens comme dans une prison!» dénonce-t-elle.

Elle n'est pas la seule à se plaindre. Max Lawson, conseiller politique d'Oxfam en Grande-Bretagne, est lui aussi un vieux routier des grands sommets. Selon lui, les deux rencontres organisées par le Canada battent tous les records d'inaccessibilité.

«C'est le pire sommet que j'aie jamais vu», dit-il. Pire, en tout cas, que le G8 de Saint-Pétersbourg, en 2006, où les représentants des ONG avaient eu libre accès non seulement aux journalistes, mais aussi aux délégués des différents pays - ce qui n'est pas le cas à Toronto. Pourtant, la Russie n'est pas particulièrement championne de la liberté d'expression.

Même son de cloche chez l'environnementaliste québécois Steven Guilbault, qui n'en revient pas de voir le mur auquel se heurtent les représentants de la société civile. Lui non plus n'avait «jamais vu ça» jusqu'ici.

Les sommets des chefs d'État sont depuis longtemps devenus des rencontres en vase clos que la vaste majorité des médias suivent de loin sur de grands écrans, sans jamais croiser ni les leaders, ni leurs accompagnateurs. Le sommet de Toronto, en tenant les représentants de la société civile à l'écart, ajoute une couche protectrice supplémentaire.

La barrière n'est pas infranchissable. À force de s'acharner, quelques porte-parole d'ONG obtiennent des laissez-passer quotidiens qui leur permettent de s'adresser aux journalistes en chair et en os. Et puis l'immeuble qui abrite le «centre des médias alternatifs» n'est qu'à quelques pas du centre des médias, où les conférences de presse des ONG sont annoncées sur les écrans géants.

Mais la réalité, c'est que la plupart des journalistes n'ont pas le temps de courir entre les deux immeubles, d'autant moins qu'ils doivent se soumettre, chaque fois, à un contrôle de sécurité. L'information circule un peu. Mais elle circule mal.

«Si j'avais su que ce serait comme ça, je ne serais jamais venue ici», tonne Silvia Holten, qui a mis toute son énergie, hier, à quémander un laissez-passer d'une journée pour le centre des médias. Et qui se demande ce qui se passe avec le Canada, ce pays qu'elle imaginait autrement plus ouvert.

La colère des ONG est unanime. Et elle ne fait pas que mettre à mal cette image canadienne que le gouvernement Harper a voulu soigner à coups de millions. Elle crée aussi un obstacle à la bonne compréhension des débats et des annonces qui auront lieu de Muskoka à Toronto d'ici à demain.

Prenez la question de l'aide internationale, par exemple. L'un des enjeux de fond, dans les annonces qui ont commencé à tomber hier, est de savoir s'il s'agit d'argent frais ou de fonds de tiroirs recyclés en jolis cadeaux. Le cas échéant, les ONG qui suivent ces dossiers sont bien placées pour retirer les attrayants emballages et voir ce qu'il y a vraiment dans la boîte.

Non pas qu'il faille croire leurs analyses les yeux fermés. Mais leur perspective est indispensable pour comprendre un tant soit peu ce qui se passe.

Il faut rappeler qu'il ne s'agit pas ici de manifestants armés de pancartes ni de quelques potentiels fauteurs de troubles. Ce sont des représentants d'organismes sérieux dont plusieurs déploient, sur le terrain, les projets qui découlent des décisions prises «au sommet». C'est le cas notamment du Fonds global pour combattre le sida, la tuberculose et la malaria, créé précisément par le G8 il y a neuf ans. Et dont les représentants sont eux aussi tenus à l'écart de tout...

Ottawa n'a pas ménagé les efforts pour faire bonne figure devant les journalistes étrangers avec sa flaque à 57 000$ et une impressionnante présentation en quatre dimensions qui vante les charmes de l'Ontario. Malheureusement, une cinquième dimension, celle de l'ouverture, a été sacrifiée au passage.