C'est certain que l'on doit se réjouir des dernières avancées scientifiques qui visent la guérison du sida. On a appris hier qu'un deuxième cas de rémission du VIH a eu lieu en Grande-Bretagne. Dix ans après le « patient de Berlin », le « patient de Londres » a connu une probable guérison grâce à une transplantation de moelle osseuse (lire notre texte à l'onglet suivant).

Chaque fois que j'entends parler d'une découverte dans l'interminable et titanesque bataille contre cette maladie, j'applaudis à tout rompre. Je pense aux nombreux chercheurs qui travaillent sans relâche depuis des décennies à trouver des solutions pour améliorer et sauver la vie des gens infectés. Je pense aussi à ces généreux donateurs et à ces artistes qui organisent chaque année des événements-bénéfice pour aider la recherche.

Mais chaque fois qu'on fait un pas en avant, je ne peux m'empêcher de me dire que celui-ci a un effet pervers : celui de faire croire que tout est gagné, qu'il n'y a plus rien à faire et que l'on peut passer à autre chose. 

Cette crainte est partagée par la majorité des spécialistes du VIH-sida, dont Michel Morin, directeur adjoint de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA).

« L'an dernier, à la rencontre sur le sida à Amsterdam, cette préoccupation était présente chez tous les représentants internationaux, m'a-t-il dit. Tout le monde craint que les gouvernements baissent les bras. Il faut continuer coûte que coûte à travailler sur le traitement, mais aussi sur la prévention. »

La prévention, pour Réjean Thomas, directeur de la clinique L'Actuel, c'est le nerf de la guerre. Et pour lui, cette prévention passe actuellement par la PrEP, c'est-à-dire la prophylaxie pré-exposition qui s'adresse aux personnes non infectées qui veulent se protéger. La PrEP est une combinaison d'antirétroviraux qui réduit le risque d'infection. On peut prendre la PrEP tous les jours ou de façon intermittente.

À la clinique L'Actuel, on affirme que les nouvelles infections ont diminué de 44 % au cours des deux dernières années, ce qui correspond à la montée en popularité de la PrEP. « C'est un outil majeur, m'a confié Réjean Thomas. À la clinique, nous sommes pro-PrEP. On la prescrit non seulement aux hommes gais, mais aussi à des femmes. »

L'utilisation de la PrEP, même si elle suscite la curiosité et l'amusement de certaines personnes, est devenue tellement répandue qu'elle fait partie des critères qui définissent un candidat sur un site de rencontre gai (Grindr, Scruff, Hornet, etc.).

Après avoir dit s'il a les cheveux bruns ou roux, s'il est top ou bottom, le candidat précise souvent qu'il est « sur la PrEP ».

« C'est une excellente nouvelle, pense Michel Morin. Cela veut dire que la personne se protège, qu'elle fait attention à elle. »

Il y a encore beaucoup de préjugés à l'égard des « PrEPeurs », ceux qui sont parfois accusés d'être des « gars faciles ». Dans une chronique publiée il y a quelques mois dans le magazine Fugues, Samuel Larochelle disait avoir entendu des commentaires comme : « La PrEP, c'est pour les salopes ! »

Il y a aussi de la méfiance quant à son efficacité. Personnellement, j'avoue que lorsque ce traitement s'est répandu en 2016, j'étais prudent. Je me souviens du premier ami qui m'a dit qu'il baisait sur la PrEP. Je l'ai engueulé. Je me suis rapidement rendu compte, études à l'appui, que la PrEP est un moyen de protection efficace contre le VIH.

« C'est sûr qu'il y a des gens qui affirment que cela crée, en retour, une augmentation des ITS (chlamydia, gonorrhée, etc.), dit Réjean Thomas. Mais cette augmentation avait déjà été observée avant l'arrivée de la PrEP. Et rien n'empêche les gens de prendre la PrEP et de mettre aussi un condom pour les ITS. »

La PrEP est remboursée à 90 % par la RAMQ. Si la personne la prend tous les jours, cela peut coûter environ 300 $ par mois. Mais plusieurs personnes préfèrent prendre la PrEP de façon intermittente. « Je sais que ça achale beaucoup de gens, dit Réjean Thomas. Mais ça coûte nettement moins cher qu'un traitement antirétroviral. »

À la clinique L'Actuel, on suit depuis quelques années de nombreuses personnes qui « sont sur la PrEP ». Ces gens subissent des tests de dépistage tous les trois mois. Aucune nouvelle infection n'a été observée.

« C'est sûr que l'idéal serait un vaccin, mais en attendant, on dispose d'un moyen pour empêcher la multiplication des cas », dit Réjean Thomas. Chaque année, au Québec, entre 300 et 600 nouveaux cas d'infection sont recensés. La stabilité de ce chiffre, depuis quelques années, rassure les spécialistes.

La science fait d'immenses progrès. Il est permis de croire que la lutte contre ce fléau sera un jour derrière nous. En attendant, il ne faut pas laisser un préjugé en remplacer un autre. La PrEP est un nouveau moyen de protection, une nouvelle arme. Il faut s'en servir et ne pas en avoir peur.

Votre ami, votre fils ou votre petit-fils a peut-être recours à ce moyen. Ce sujet ne fait sans doute pas partie des conversations de vos brunchs dominicaux. Mais il ne doit pas non plus être glissé sous le tapis comme on l'a trop longtemps fait avec le condom et la pilule.

Au fond, la PrEP ne dit qu'une chose : que la personne qui la prend tient à la vie. Qui peut être contre ça ?