C'est un triangle amoureux bien spécial où l'or et les milliards s'entremêlent. C'est l'histoire amour-haine de trois géants aurifères qui se font la cour. Et pour les investisseurs qui assistent aux ébats, c'est un signal que le prix du métal jaune présente encore un beau potentiel, malgré son rebond récent.

La semaine dernière, la société torontoise Barrick Gold a lancé une offre d'achat hostile de 17,8 milliards US pour sa rivale du Colorado Newmont Mining qui est actuellement le plus grand producteur d'or de la planète. Si cette transaction allait de l'avant, cela ferait avorter l'offre d'achat de 10 milliards US que Newmont avait elle-même présentée à Goldcorp, de Vancouver, il y a un mois.

Lequel des mariages sera célébré ? Pour l'instant, les actionnaires se perdent en conjectures. Mais chose certaine, cette vague de fusions dans le monde aurifère témoigne que le meilleur du cycle est encore à venir. Autrement, tous ces grands patrons ne délieraient pas les cordons de leur bourse de la sorte.

Les petits investisseurs peuvent donc en déduire qu'il est encore temps de plonger. « J'ai une vision constructive sur l'or. Parmi les actifs alternatifs, c'est mon choix préféré », confie Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Financière Banque Nationale. À son avis, le prix du lingot pourrait grimper jusqu'à 1500 $ US, ce qui représente un gain d'environ 15 %.

Il est vrai que l'or a déjà repris du lustre après avoir touché un creux d'environ 1200 $ US l'automne dernier. Il y a six mois, les amateurs d'or étaient carrément en mode capitulation. Le moral était si bas que la famille Vanguard avait annoncé, en juillet, l'abolition de son fonds négocié en Bourse (FNB) spécialisé dans les métaux précieux, un mastodonte de plus de 2 milliards.

Bravo à ceux qui ont eu le cran d'investir à ce moment charnière. Mais sinon, il n'est pas trop tard pour acheter sur faiblesse. Maintenant que le lingot est retombé en bas de 1300 $ US, on peut y aller sans trop se tromper, estime Martin Roberge, stratège quantitatif chez Canaccord Genuity qui voit le prix de l'or entre 1350 et 1450 $ US d'ici 12 mois.

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À moyen terme, plusieurs facteurs militent pour le métal jaune.

Premièrement, « l'environnement géopolitique pourrait favoriser l'or », explique M. Marion. Les tensions commerciales avec la Chine, le Brexit, les turbulences au Venezuela... ce ne sont pas les sujets d'inquiétude qui manquent.

Et c'est bien connu, l'or est comme un poisson dans l'eau lorsque la volatilité crée des vagues sur les marchés. Souvenez-vous, en 2011, lorsque la crise de la dette souveraine a provoqué une tragédie grecque en Europe. C'est à ce moment que l'or a atteint son sommet historique de quelque 1900 $ US.

Deuxièmement, les déficits monstres aux États-Unis pourraient aussi faire grimper l'or.

« On prévoit des déficits budgétaires de 4 à 7 % du PIB pour les 10 à 15 prochaines années aux États-Unis. Des déficits d'une telle ampleur dans un contexte de plein emploi sont carrément sans précédent. »

- Stéfane Marion

Ces déficits vont inexorablement gonfler la dette américaine, ce qui pourrait ternir le statut de valeur refuge dont jouit le dollar américain. Si le billet vert perd de son lustre, cela pourrait faire briller l'or qui est aussi considéré comme une valeur refuge lors des périodes de turbulences.

Troisièmement, le lingot pourrait profiter d'une remontée de l'inflation.

Après une période de resserrement de leur politique monétaire, les banques centrales laissent maintenant comprendre qu'elles seront relativement accommodantes. Il n'y a plus d'urgence à relever les taux d'intérêt. Les banques centrales sont prêtes à laisser entrer un peu plus d'inflation dans le système.

L'or se porte bien lorsque l'inflation remonte. Comme tout actif tangible, il protège le pouvoir d'achat de ses détenteurs lorsque les prix à la consommation montent.

Et quatrièmement, les craintes d'une récession d'ici deux ans pourraient redonner des ailes au prix de l'or.

Depuis le début de l'année, l'or vivote parce que les craintes d'une récession en 2019 se sont estompées, explique M. Roberge. Mais la peur d'une récession mondiale en 2020 pourrait ressurgir. L'or aura une poussée de croissance lorsque les investisseurs recommenceront à croire que la Réserve fédérale américaine pourrait réduire ses taux d'intérêt afin de relancer l'économie. Et lorsque la Fed baissera réellement ses taux, l'or connaîtra une nouvelle poussée.

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Bref, pour les investisseurs qui veulent une police d'assurance dans leur portefeuille, une petite dose d'or peut être une bonne idée.

M. Marion suggère d'acheter la matière première. Pas besoin d'empiler des lingots dans un coffre-fort. Les épargnants peuvent tout simplement acheter des reçus de transactions boursières de la Réserve d'or canadienne qui se négocient à la Bourse de Toronto sous le symbole MNT. La Monnaie royale du Canada détient physiquement dans ses coffres à Ottawa la valeur exacte d'or correspondant aux titres émis.

Certains investisseurs pourraient être tentés par les actions de sociétés aurifères qui sont bon marché. « Les titres aurifères n'ont pas été si faibles par rapport à l'indice S&P 500 de la Bourse américaine depuis la bulle techno au début des années 2000 », signale M. Roberge.

Si l'or a le vent dans les voiles, le prix des aurifères peut effectivement connaître une performance beaucoup plus spectaculaire que le lingot en tant que tel. Mais en cas de repli boursier, les actions des producteurs d'or n'échapperont pas au ressac.