« Je ne pense pas qu'il y ait de l'islamophobie au Québec. »

Alors que l'on vient tout juste de commémorer, le coeur serré, les victimes de l'attentat à la Grande Mosquée de Québec, j'ai relu plusieurs fois la déclaration du premier ministre, incrédule. Avec cette impression d'être face à quelqu'un qui, devant une maison qui brûle, dirait : « Il n'y a quand même pas le feu ! »

« Je ne pense pas qu'il y ait de l'islamophobie au Québec. » C'est bien ce qu'a dit le premier ministre François Legault, hier, pour justifier le fait qu'il ferme la porte à ce que le 29 janvier, jour de commémoration de la tuerie à la Grande Mosquée de Québec, soit déclaré Journée nationale contre l'islamophobie.

Alors que, à 800 km de la capitale nationale, en hommage aux victimes de Québec, le maire de Toronto vient d'annoncer que le 29 janvier serait désormais un « Jour de mémoire et d'action contre l'islamophobie » dans sa ville, François Legault ne veut rien savoir d'une initiative semblable. À défaut d'être sensée, on peut dire que sa déclaration est en accord avec sa réflexion (ou plutôt son absence de réflexion) sur le sujet.

S'il croit vraiment qu'il n'y a pas d'islamophobie au Québec, c'est logique qu'il n'instaure pas une journée nationale de lutte contre quelque chose qui n'existe pas.

L'instauration d'une telle journée avait pourtant été évoquée par la ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre Geneviève Guilbault. Mardi, elle avait fait allusion à une possible « discussion » sur le sujet en faisant un parallèle avec un évènement organisé par Louis Garneau pour instaurer une journée nationale contre les textos au volant. « Je trouve que c'est dans le même esprit d'essayer d'instituer cette pensée-là, cette mémoire-là. »

Dans le même esprit, vraiment ? Les textos au volant et l'hostilité envers les musulmans ? Peu importe, la « discussion » n'a pas duré longtemps. C'était juste une idée comme ça, lancée pour la forme, a laissé entendre François Legault. Sa vice-première ministre « a été prudente » en disant qu'on allait discuter d'une possible journée nationale contre l'islamophobie. Et puis ? Et puis rien. « On l'a regardé, y en aura pas. C'est clair. »

Rien de plus clair, en effet. Parce qu'on ne peut pas regarder ce qu'on ne veut pas voir.

Dans l'angle mort de nos débats identitaires, l'islamophobie et, plus largement, le racisme restent des sujets de déni collectif.

Les crimes haineux envers les musulmans sont en forte hausse partout au Canada, y compris au Québec, selon un rapport de Statistique Canada. Et on ne parle bien sûr que de ceux qui ont été déclarés à la police. Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

À CV égal, un Mohamed a deux fois moins de chances d'être convoqué en entrevue qu'un Mathieu par les employeurs de la Ville de Québec, selon une étude récente. Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Des immigrants musulmans se font conseiller de changer de nom s'ils veulent décrocher un emploi au Québec. Et ça marche... Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Une tête de porc ensanglantée est déposée devant la Grande Mosquée de Québec et l'animateur de radio Éric Duhaime trouve qu'il s'agit d'une bonne blague alors que son confrère Dominic Maurais juge bon d'en rire même après l'attentat du 29 janvier. Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Au nom de la laïcité, des citoyennes musulmanes portant le voile se font insulter. Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Cela fait plus de 15 ans que je tiens chronique. Et cela fait plus de 15 ans que, au gré des débats sur les « accommodements », la charte et la laïcité, je reçois du courrier haineux contre les Arabes en général et les musulmans en particulier, dont on craint « l'invasion » alors qu'ils constituent 3 % de la population. Retourne en Arabie si t'es pas contente... Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Parce qu'elle ne se soumet pas à l'étiquette de la musulmane voilée soumise qu'on aimerait lui accoler et qu'elle a osé défendre un point de vue impopulaire, Dalila Awada fait passer mon propre courrier haineux pour un courrier du coeur. Elle a été harcelée, diffamée et reçoit régulièrement des messages d'une violence inouïe. Du genre : « Pétasse de merde, retourne dans ton pays te faire tuer, salope. » Dans les médias sociaux, la parole islamophobe est plus que jamais décomplexée et banalisée. Mais rassurez-vous, il n'y a pas d'islamophobie au Québec.

Six Québécois musulmans sont assassinés un soir de prière à la mosquée. Plusieurs sont blessés gravement. Parce qu'ils étaient musulmans : Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Aboubaker Thabti, Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Azzedine Soufiane.

Mais rassurez-vous. Il n'y a pas d'islamophobie au Québec.