Cette fois, Usain Bolt n'a pas lésiné. Cette fois, il n'a pas calculé, ne s'est pas gardé de marge pour pouvoir rebattre son record sur le circuit contre de juteuses primes.

Usain Bolt est allé au bout de son effort, et tant pis pour ceux derrière qu'il laissait dans la brume de leur médiocrité. Il a gagné ce 200 mètres par plus d'une demi-seconde sur un second dont on a déjà oublié le nom (1). Et il a battu le record du monde avec un stupéfiant chrono de 19.30, retranchant deux centièmes au mythique record de Michael Johnson, vieux de 12 ans.

Voyez nos photos de la course d'usain Bolt

Si vous voulez mon avis, ce Usain Bolt exagère. Qu'il gagne le 100 mètres, bon. Qu'il batte le record du monde du 100 mètres, mettons que les courses parfaites existent et les états de grâce aussi. Qu'il gagne aussi le 200 m rien d'étonnant sur sa forme actuelle. Le doublé 100-200 m est chose courante aux Jeux olympiques et aux Championnats du monde.

Où je ne marche plus c'est quand, avec un vent contraire de presque un mètre seconde, Bolt bat le record de Michael Johnson, record réputé être un des plus inatteignables de l'histoire récente de l'athlétisme. La preuve, depuis ce fameux soir à Atlanta où Johnson brûlait la piste, personne en 12 ans, personne, et pas même Johnson lui-même, ne s'est approché à moins de trois dixièmes de ces mythiques 19 secondes et 32 centièmes.

Il y a un mois, à Athènes, Bolt remportait le 200 en 19.67, son meilleur chrono à vie sur la distance et pourtant encore à trois dixièmes et demi du record de Johnson!

Je m'excuse de tous ces chiffres, mais un record, ce sont d'abord des chiffres et il faut bien comprende ce qu'ils nous disent. Ils nous disent qu'à la mi-juillet, Bolt était à plus de trois dixièmes du record de Johnson et qu'hier soir, à Pékin, il le battait: 19.30. Ce fantastique bond de trois dixièmes ne tient pas debout.

Je vous laisse le choix du superlatif pour qualifier le record de Bolt. Incroyable. Ahurissant. Mais vous ne me ferez pas déroger du mien – stupéfiant.

Pour vous dire comme je peux être de mauvaise foi, je sais très bien, parce que c'est la première chose que j'ai vérifiée dans mes petits cahiers, je sais très bien qu'il y a 12 ans, Michael Johnson avait fait exactement le même bond, passant de 19.66 à 19.32. Et alors! Pourquoi ce qui était stupéfiant il y a 12 ans, ne le serait pas aujourd'hui? Je maintiens et je signe: stupéfiant.

Autre chose qui me tape prodigieusement: le show de souliers. Bolt court avec des Puma, la petite compagnie allemande qui a royalement baisé les grosses américaines (2) à Pékin et ça pourrait être fort sympathique, mais il y a des limites à l'indécence. À la fin du 100 mètres, Bolt embrasse amoureusement ses souliers, et à la fin du 200, il les ôte, les laisse sur la piste, s'éloigne, revient les chercher dans une choragraphie suivie par un milliard de téléspectateurs, une chorégaphie qu'on devine minutieusement préparée. Peut pas attendre un petit peu le marketing?

Autre chose encore. Pourquoi Bolt commence-t-il et termine-t-il ses courses en faisant le geste de tirer du fusil? Il se prépare à aller à la chasse aux canards ou quoi?

Je n'aime décidément pas cette race de sprinters, ne les ai jamais aimés, dans aucun sport, et ce n'est pas celui-là, aussi stupéfiant soit-il, qui va me faire changer d'idée.

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REED PASSE MAIS PAS TADILI

On ne le sait pas au Canada, mais le vice-champion du monde du 800 mètres, peut-être la plus belle de toutes les courses de demi-fond, est Canadien. Il s'appelle Gary Reed, il est de Victoria, il a 26 ans, il est passé à un centième de devenir champion du monde à Osaka l'automne dernier.

Hier, Reed a passé sans encombre les premières séries du 800. Reste qu'il était très mécontent de sa course et de son chrono (1.46.02). Peut-être en effet n'a-t-il pas si bien couru, mais c'était sans conséquence, c'est ce soir, en demi-finale qu'il faudra être vigilant, ne pas se laisser enfermer dans une course tactique et se faire éjecter de la finale dans le dernier droit.

Achraf Tadili, de Laval, lui, n'a pas survécu au séries. Sixième de sa vague avec un très médiocre chrono (1.48.87), il était bien déçu. «Je m'attendais à une course rapide, mais c'est parti lentement et à la fin, tout le monde avait encore beaucoup d'énergie et je me suis fait sortir dans le final.»

Tadili est un gentil garçon, sérieux à l'entraînement et tout, un honnête coureur de 800, mais il souffre d'un mal très courant chez les athlètes: la confiance. Qu'on m'entende bien, il n'en manque pas. Il en a trop.

Lors des derniers Championnats canadiens, il se disait confiant de se qualifier pour les demi-finales, ce qui était possible, mais aussi pour la finale, ce qui ne l'était. Il se voyait peut-être même sur le podium, et là, on tombe dans le délire.

Hier, il nous a chanté qu'il souffre d'une blessure à la cuisse depuis avril, blessure qui l'a empêché de s'entraîner en vitesse.

La réalité est que Tadili n'a jamais été dans le rythme de cette course qu'il dit «trop lente», il a été un peu juste tout le long. La réalité est qu'il se rate souvent dans les grandes occasions. La réalité est que la confiance est une force extraordinaire quand elle est lucide, acquise par le travail, mais quand elle est fabriquée, suggérée, ce n'est plus de la confiance, c'est de l'intox. On se raconte des histoires et quand il n'est plus possible de les croire, on s'en raconte d'autres.

C'était aussi, hier, les demi-finales du 5000. En principe pas de Canadien, mais surprise, éliminé du 1500 la veille, Kevin Sullivan, 34 ans, est venu faire dans ce 5000 ses adieux à l'olympisme et peut-être ses adieux à la course. C'est bien dans la manière de ce garçon pour qui courir a toujours été comme respirer, de les avoir faits en courant.

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(1) D'autant plus qu'on a changé deux fois de second dans cette course à la suite de deux protêts. L'Américain Wallace Spearmon, le vrai second, a d'abord été disqualifé pour avoir mordu sur la ligne du couloir voisin. Churandy Martina – l'auteur du protêt – héritait alors de la médaille d'argent. Minute, ont dit les Américains, Martina aussi a mordu sur la ligne. Second protêt. Seconde disqualification, le second est maintenant l'Américain Crawford, qui était en réalité quatrième et qui a demandé avec un sourire: vous êtes sûr que Bolt n'a pas mordu la ligne lui aussi?

(2) Nike en particulier qui a bonne mine avec Tyson Gay, éliminé en demi-finale du 100, et Adidas, pas beaucoup mieux lotie avec son Asafa Powell complètement éteint. Encore que Adidas pourra toujurs se rattraper avec Jeremy Wariner au 400...