Cela s'est joué sur la toute dernière barre. La compétition était finie, le podium des 63 kilos pratiquement établi et Christine Girard était sur ce podium. C'eût été la première médaille du Canada. Une médaille de bronze au cou d'une fille en or.

Mais il restait une barre. Un lever, si vous préférez. Il restait cette Nord-Coréenne qui venait de rater deux fois son épaulé à 135 livres. Les deux fois la barre avait semblé si lourde, ses deux ratages étaient si totalement ratés qu'on se disait impossible qu'elle revienne de si loin, elle est détruite.

Maudite Corée-du-Nord. Vous le savez maintenant, la Coréenne a réussi son troisième épaulé, passant de rien du tout à la médaille d'or, et par un jeu de dominos fait tomber Christine Girard du podium. Chritine a finalement terminé quatrième. Avec un total de 228 kilos qui la comble parfaitement.

Et quel suspense! Le profane, je parle pour moi, n'imagine pas l'haltérophilie comme un sport haletant. On aime l'haltérophilie plus pour ses gens que pour le spectacle qu'elle donne. On n'attend pas de ce sport qu'il nous noue les tripes. Hier, on était pourtant sur le bout de nos sièges. Allez, Christine. Mais allez où? Elle ne pouvait rien faire. Elle attendait comme nous.

On avait commencé à y croire quand, à l'arraché, la Russe, grande favorite, avec une barre de départ trop élevée, s'est présomptueusement plantée. Bonsoir, madame.

Une autre favorite s'était blessée à l'échauffement. Christine, pendant ce temps, laissait une impression de facilité, même de fluidité. Ça non plus, la fluidité, on n'imagine pas en haltérophilie.

Pourtant, elle alignait trois barres fluides, trois barres parfaites, comme si ce n'était rien d'arracher 96 kilos, puis 99 puis 102, ce qui égalait sa meilleure marque à vie à l'arraché.

Sa belle série a continué avec son premier épaulé à 126 kilos. Puis elle a trébuché, littéralement trébuché, presque enfargée, à son premier essai à 130. Et raté le second de peu. Mais les autres filles aussi n'arrêtaient pas de se planter et Christine était virtuellement sur le podium. Ne restait plus que cette Nord-Coréenne avec ce dernier essai à 135 kilos. Maudite Corée-du-Nord.

Déçue, Christine?

Pas trop.

Quels étaient vos sentiments quand la Coréenne a saisi la barre pour son troisième essai? Où étiez-vous?

Je la regardais à la télé dans la salle de réchauffement avec Yovane (son entraîneur, Yovane Fillion). Je me disais que je n'y pouvais rien de toute façon.

Vous priiez pour qu'elle rate?

Non. Je me suis dit : que la meilleure gagne. Elle a gagné. Cette fois, elle était la meilleure, Mais je me sens maintenant de taille à rivaliser avec toutes ces filles-là. Je suis très fière de ma compétition.

C'est mon meilleur résultat sur la scène internationale et ça arrive aux Jeux olympiques. Je ne peux pas espérer mieux. J'ai fait honneur à mon pays et surtout à mon petit coin de pays à moi, l'Abitibi, que j'aime tant et qui me soutient magnifiquement.

En l'écoutant, on ne peut s'empêcher de penser à Maryse Turcotte que je revois il y a huit ans à Sydney, quatrième aussi. Il y a de la Maryse dans cette limpidité, cette simplicité, cette réserve aussi : dans la zone mixte, Christine nous montrait un bonheur tranquille, sans effervescence. Bref, ce n'est pas une énervée. Dans le portrait que j'en faisais avant les Jeux, je disais – sans grande originalité d'ailleurs – que Girard était le modèle même de l'anti-star. Ce n'est même pas vrai. Elle est anti-rien. Elle est juste elle-même. Nature. Une fille du nord. Une fille de mineur. Née en Ontario, Elliott Lake, petite ville minière. Elles sont quatre soeurs, les quatre ont touché à l'haltérophilie. Le père n'avait pas le choix : il a fondé un club d'haltérophilie.

Elle a très hâte de retrouver les siens, ses deux chiens et son cheval Fred qu'elle s'est empêchée de monter depuis quelques mois pour ne pas risquer un accident.

Et cette touche importante à rajouter au portrait de cette fille dont on n'a pas fini d'entendre parler : une vraie provinciale et fière de l'être. Un pur «produit» régional, ce qui implique le soutien de la communauté, beaucoup plus proche que dans les grandes villes. Sur les deux dernières années, Christine est allée chercher près de 40 000 $ en commandites qui ont servi à acquérir de l'équipement et à payer ses déplacements.

L'avis d'un pro

Je vous ai parlé de lui ce printemps. Jean-Philippe Maranda, de Saint-Georges-de-Beauce, 21 ans. Il était le meilleur haltérophile au Canada. En 2007, après une compétition à Sherbrooke il se dirige vers Montréal où il devait recevoir le lendemain une bourse de la Fondation de l'athlète d'excellence. Sa première bourse. Il était au volant de la voiture de sa mère, un moment de distraction, (il s'est penché pour ramasser un truc qui était tombé du siège), la voiture a quitté la route a fait plusieurs tonneaux, la ceinture défectueuse s'est défaite, le sac gonflabe n'est pas sorti. La moelle épinière a été touchée.

Il devait être à Pékin. Il y est, mais en fauteuil roulant. Il ne remarchera plus. Une bonne âme a payé son voyage. Tu devais aller à Pékin, lui a-t-elle demandé. Tu vas y aller. Emmène une amie, je paie pour elle aussi. Jean-Philippe est arrivé lundi avec cette amie qui l'aide dans ses déplacements. Il était évidemment, hier après-midi, au gymnase où levait Christine.

Christine lève tellement bien, ça a toujours l'air facile, mais on s'entend que ça ne l'est pas. Elle ne laisse pas une impression de force, ses barres ont l'air de n'avoir rien dessus. Christine, c'est un charme, tu veux montrer à quelqu'un ce qu'est l'haltérophilie, voilà c'est ça, tout est là, la vitesse, la technique, le style même, comment vous expliquer ? Elle lève «délicat». C'est aussi un exemple à l'entraînement. À l'entraînement, c'est une machine.

LA MODERNITÉ – Entre la station où je descends pour rentrer au village des médias, et celle d'avant, le métro longe un golf, on aperçoit des joueurs, pas beaucoup et de trop loin pour voir si ce sont des Chinois, mais ça doit. Je ne peux pas m'empêcher de penser à mon premier voyage à Pékin il y a 30 ans. Qu'on était loin alors du golf ! Et des quilles ! L'autre jour, dans un centre commercial, on annonçait l'ouverture prochaine d'un salon de quilles. Les droits de l'homme, pourquoi faire grand dieu ?

CORRECTION – Dans mon texte de vélo, la course des hommes, je traitais l'Espagnol Samuel Sanchez, qui a gagné la médaille d'or, de coureur modeste. J'étais dans le champ. Pas modeste du tout. C'est une vedette du peloton des pros, leader de son équipe (Euskaltel-Euskadi). Je sais que cela ne vous fait pas un pli, mais les amateurs de vélo ont froncé les sourcils, notamment Mathieu D., de Québec, merci de me l'avoir souligné.